Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup plus lent à cause surtout des ronces de fils de fer qui sont un moyen de retarder la marche inconnu de Vauban. En outre, dans sa comparaison, celui-ci suppose tous les adversaires armés de mousquets. Aujourd’hui, au contraire, le défenseur a à sa disposition la mitrailleuse, à l’exclusion de celui qui donne l’assaut et ce fusil multiplié renforce beaucoup le désavantage de l’assaillant, surtout si, comme c’était toujours le cas naguère, celui-ci n’est armé que du fusil et de la baïonnette. — Jusqu’à quelques mètres de l’ennemi retranché, la baïonnette n’est rien qu’une menace terrible, mais impuissante, et le fil barbelé se rit des menaces. Quant à la balle du fusil, sa trajectoire rectiligne, son « tir tendu, » comme disent les balisticiens, ne lui permet de toucher que ce qui dépasse le talus de la tranchée. Pour tout ce qui est derrière celui-ci, la balle est inoffensive.

Par ces quelques remarques, on s’explique les pertes assez élevées qu’a subies un temps l’infanterie attaquant de vive force les retranchemens ennemis. C’était la mort, la mort glorieuse, mais inutile pour beaucoup, et ceux qui mouraient ainsi n’avaient pas même l’âpre et suprême volupté d’avoir porté aussi des coups mortels. Seuls ceux qui parvenaient à la tranchée adverse avaient cette joie.


Heureusement, aujourd’hui l’héroïsme du fantassin n’est plus exposé autant qu’au début à sombrer impuissant sur les récifs d’acier qui bordent la défense ennemie.

C’est que, par la force douloureuse des choses, on a été amené, d’une part à donner des armes nouvelles à l’infanterie, d’autre part, à ne plus la lancer que sur des positions d’abord « préparées » par l’artillerie, — n’en déplaise au règlement, — et réduites au minimum de nocivité.

L’arme nouvelle qu’on a donnée aux fantassins, c’est la grenade qui fait en quelque sorte de chacun d’eux un artilleur, car la grenade n’est qu’un petit obus à main (en italien d’ailleurs, l’obus s’appelle granata et en allemand granat). La grenade est une bombe en miniature qui éclate en mille fragmens meurtriers dans un assez grand rayon. Il est évident que, dans la lutte à courte distance, elle est bien plus dangereuse que la balle du fusil qui ne traverse qu’un étroit pinceau de