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fût la plus pratique. Cela est-il impossible ? Y a-t-il forcément divorce entre l’utile et le gracieux ou le beau ? Admettons même que notre goût choque celui de l’étranger : tout n’est pas forcément mauvais, banal, vulgaire ou grossier chez lui. Ils ont encore, ou ils ont eu des arts et des industries, qui ont créé quelques belles choses, et même quelquefois des merveilles. Nous n’avons qu’à nous inspirer de leur beauté et de leurs traditions, pour leur offrir des produits qui satisferont leur goût, sans tomber dans la laideur ou la vulgarité. Rappelons aux Africains leurs propres richesses, aidons-les à les retrouver. Déjà, en Algérie, on a essayé de ressusciter non seulement l’architecture, mais un certain nombre d’arts mauresques. Pour obtenir dans cette voie des résultats tout à fait satisfaisans, il faudrait que l’œuvre, au lieu d’être morcelée en tentatives individuelles, fût coordonnée, entreprise sur une vaste échelle, soutenue surtout avec une volonté ferme et persévérante. Les organisateurs de la foire de Fez ont dû certainement penser à ce renouveau possible de l’art et des industries indigènes sous notre direction, puisqu’ils ont réservé une place, dans leurs pavillons, à côté des produits français et anglais, à ceux des artisans de Rabat et de Méquinez.

Mais il ne suffit pas de connaître le goût du client et, autant que possible, de le satisfaire : il faut encore savoir lui vendre sa marchandise. En pays d’Islam, rien de plus difficile pour l’Européen, et surtout pour le Français, qui n’a jamais quitté sa coquille. C’est si délicat que, la plupart du temps, un intermédiaire s’impose entre le vendeur d’Occident et l’acheteur oriental. A Alger, j’ai entendu répéter cent fois par des administrateurs que le petit commerce français est impossible, que nos compatriotes ne savent pas vendre à l’indigène, et qu’il faut absolument entre lui et nous le truchement juif. Cependant, une telle situation ne peut pas se prolonger, elle ne doit être que transitoire. Il est vraiment humiliant de rester ainsi des étrangers dans nos propres colonies. Grâce à cette connaissance positive et un peu pédantesque des peuples, qu’ils appellent la Völkerpsychologie, les Allemands sont arrivés, même dans les colonies des autres, à prendre langue avec les naturels du pays, à les traiter et à les servir selon leurs habitudes et selon leur désir. Pourquoi n’en ferions-nous pas autant ? Il faut pouvoir tout ce que l’on veut.