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ON CHANGERAI PLUTÔT LE CŒUR DE PLACE…

— Bien sûr que non ! Nous sommes épatans. C’est au collège allemand qu’on nous mécanise. Tu l’as quitté au bon moment. Il faut voir ça dans les classes supérieures ! Jamais rien de personnel. On nous dicte un canevas. Pas moyen d’en sortir. Il faut que les quarante élèves répètent les mêmes choses, si possible avec les mêmes mots. En histoire, dès que tu discutes, que tu poses une objection, on te traite de bavard, de Franzosenkopf… En somme, dès le collège, on est des soldats. Le professeur, c’est le colonel. Il parle. On claque les talons. Zum Befehl !

— Ça nous suivra toute la vie, soupire Jean.

— Il y en a qui disent que ça donne de la méthode, de la discipline, poursuit Charles. Moi, je dis que ça crétinise. On accepte tout. On devient une machine.

Tout le soir, enfermé dans la salle d’études, Jean se bat avec lui-même, gesticule, se pose des objections auxquelles il répond de son mieux, furieux de sa timidité, de ses gaucheries. L’esprit encore secoué de ces efforts, il regarde la vallée, il en comprend mieux que jamais l’abandon.

— On ne peut rien être complètement, ici. Allemand, ça nous dégoûte. Français, on nous en empêche. Alsacien ?… On nous traque.

Le lendemain, aigri, découragé, Jean définit le romantisme sans entrain, sans volonté de précision.

— C’est mieux, dit pourtant le professeur, mais vous avez encore l’air de souffrir. On sent que vous vous méfiez de vous, de votre langue. Un peu de confiance en soi. Demain, le Cid. Le Cid ! Sapristi ! Voilà qui demande de l’élan, de la couleur, quelque chose de ramassé, de vigoureux.

Au soir de ces journées chaudes, on fait un tour de promenade, toujours le même, c’est plus reposant, au pied des collines. Voici que certaine fois on découvre, se balançant au-dessus des buissons, le chapeau melon de Kummel. Dans cette miraculeuse sérénité du soir, le chapeau du Lehrer, — et dessous, sans doute, le Lehrer lui-même, mais on ne l’aperçoit pas, — est un spectacle digne d’être vu. Ce n’est pourtant pas l’avis de Jean.

— Je vous en supplie, monsieur, filons !

— Ne soyez pas si nerveux.

— Il est plus fou que jamais, vous savez. Dans toutes les