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Par définition, la réparation implique un retour vers un certain statu quo ante. Le militarisme prussien ayant été la cause de troubles profonds en Europe, il faut le détruire jusque dans sa racine pour empêcher que de pareils événemens ne se reproduisent. Comment peut-on y parvenir ?

L’idée du statu quo ante implique une étude suffisamment précise des précédens.

En 1814-1815, après la chute de Napoléon, l’Europe imposa, à la France vaincue, le retour au statu quo ante, en prenant pour date l’année 1789. Quelle date l’Europe choisira-t-elle pour imposer le statu quo ante à l’Allemagne militariste et prussienne ?

Sans nous perdre dans des considérations historiques, il n’est pas inutile de rappeler que le Moyen Age avait eu une intuition extrêmement juste du rôle de l’Allemagne, comme intermédiaire et médiatrice entre les peuples européens. « L’Empire au Moyen Age, dit Bryce, fut, par essence, ce que les despotismes modernes qui le singent prétendent être : l’Empire, c’était la paix. Imperator pacificus, tel était le plus ancien et le plus noble titre porté par son chef. » Et tel était, en effet, le rôle qui paraissait réservé providentiellement à l’Allemagne aux yeux de bon nombre d’Allemands et l’on peut dire de tout le libéralisme européen à la suite des événemens de 1848, au moment où l’assemblée de Francfort élaborait une constitution pour l’Allemagne unifiée.

Je trouve cette aspiration exprimée, en 1854, à propos des événemens de Crimée, dans une brochure française qui eut un certain retentissement : « En 1815, les législateurs de l’Europe jugèrent utile de constituer, au centre du continent, une puissance qui fût comme la pierre d’assise de l’ordre, à l’avenir. L’Allemagne, par sa situation, sa masse, sa profondeur, pouvait servir de barrière entre les États, les protéger contre la prépondérance ou l’agression d’un seul, éloigner de chacun les périls des coalitions. Pour cela, il fallait l’armer pour la défense et la désarmer pour l’attaque… etc.[1]. » C’est cette conception du rôle de l’Allemagne qui explique les enthousiasmes de la génération des Cousin, des Michelet, des Renan et même des Taine qui acclamait la « vénérable » Germanie.

  1. Crampon, La politique médiatrice de l’Allemagne, 1855.