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celle de leur personnage et de leur « tenue » même, la musique ajoute son prestige et sa puissance de poésie. Elle mêle à des signaux, à des commandemens, à des manœuvres de bord, à des appels de clairon, des impressions marines. Par un thème qui se meut et semble avancer, elle imite la marche du navire ; par des accords longuement tenus, par des plans harmoniques tout unis, et qui s’étendent au loin, elle exprime le calme des flots et la sérénité de la nuit. Un gabier chante parmi les vergues, et le jeune matelot de Tristan ne chante pas une plus douce, une plus mélancolique chanson. Cependant, l’âme de Pierre et celle de son compagnon se partagent entre les contrées dont ils rêvent et la patrie qu’ils ont abandonnée. Pierre évoque le Japon et le décrit d’avance, d’une voix légère, sur des rythmes alertes, sautillans et menus, auxquels succède bientôt, pour un moment, une plus chaude et déjà presque amoureuse cantilène. Mais voici bien une autre antithèse, autrement pathétique et presque poignante. Soudain le souvenir du pays, du ciel et de la terre natale, ressaisit Pierre et, comme disent les bonnes gens, lui « retourne le cœur. » En musique, par la musique, ce brusque retournement est d’un beau lyrisme et d’une irrésistible puissance.

Parlant un jour de l’exotisme, Jules Lemaître en a dit excellemment : « Tandis que nous imaginons de nouveaux aspects de l’univers, il arrive qu’une fois bien entres dans ces visions, nous y sommes mal à l’aise et vaguement angoissés ; nous y sentons le regret nostalgique des visions connues, familières, et que l’accoutumance nous a rendues rassurantes. » Dans la sensibilité, dans le génie d’un Loti, ce contraste ou ce conflit est évidemment pour quelque chose. Tous les marins doivent en connaître par expérience la joie et le tourment. Et d’en avoir su rendre, avec tant de force, tant de vérité, les deux élémens et la rencontre de l’un et de l’autre, voilà ce qui donne à la musique de M. Messager son caractère et son prix.

Après les officiers, les soldats, et même, premièrement, par galanterie, quelques jeunes guerrières. La plus célèbre des nôtres, — jadis, — était Marie, « la fille du régiment. » Ne l’oublions pas tout à fait. « Il est là, le voilà, morbleu, le beau vingt-et-unième ! » — « Au bruit de la guerre, » — et puis, et surtout, en dépit d’une fâcheuse prosodie, le fameux : « Salut à la France !  » autant de couplets dignes de rester populaires.