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III

Tandis que s’organisait ainsi le gouvernement princier, l’Europe assistait indifférente en apparence à ces incidens, conservant l’attitude qu’elle avait prise dès le début contre Ferdinand, mais sans rien y ajouter de plus menaçant pour son gouvernement. C’était une attitude boudeuse et de mauvaise humeur qui n’empêcherait pas ce gouvernement de durer, tant qu’elle garderait sa forme actuelle, et il semblait bien que les Puissances ne fussent pas disposées à lui en imprimer une autre. La Russie, résolue à ne pas agir elle-même, adjurait la Porte d’exiger le départ du jeune prince. Mais, outre que la Porte était hors d’état de vaincre et de punir la rébellion d’une province vassale, elle ne souhaitait pas le renvoi d’un homme qui, en ceignant la couronne, s’était déclaré son tributaire, et il ne lui déplaisait pas de laisser dans l’embarras ceux qui l’avaient dépouillée. Partout, on criait bien haut que Ferdinand de Cobourg ne pouvait rester en Bulgarie, qu’il devait s’éloigner, mais personne n’indiquait le moyen de l’y contraindre, et lui-même, convaincu qu’aucune Puissance ne prendrait les armes contre lui, laissait couler ce torrent de paroles, assuré de n’être pas emporté tant qu’il pourrait s’appuyer sur le peuple bulgare, dont la présence de Stamboulof à la tête de son gouvernement lui garantissait la soumission, et parmi lequel les manifestations hostiles dont il était l’objet de la part de l’Europe augmenteraient sa popularité.

Loin de s’inquiéter de ces manifestations, il les utilisait comme un moyen de défense, laissant entendre que la croisade qui le menaçait, dirigée contre la Bulgarie, visait derrière elle tous les États balkaniques. Aussi fait-il appel à leur solidarité. Au commencement du mois de janvier 1888, il prodigue ses avances à la Roumanie, il convoque l’agent serbe et l’agent hellénique. Il confie au premier qu’il est prêt à conclure un traité d’alliance avec la Serbie, et qu’il tend la main au roi Milan. Il dit au second :

— Je vous parle dans un moment solennel. J’attends d’un moment à l’autre une note collective des Puissances m’engageant à me retirer. Je suis résolu à résister, et je suis assuré du dévouement absolu de mes ministres et de mon armée.