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à s’allumer contre le dictateur les colères et les rancunes qui ne furent assouvies que sept ans plus tard par son trépas tragique, et se forma en lui, ainsi qu’il l’a dit souvent depuis, la conviction qu’il serait assassiné.

D’ailleurs, cette crainte ne l’empêchera pas de poursuivre l’écrasement de ceux qu’il tient pour ses ennemis. Après avoir expulsé Karavélof de la régence, il le fait arrêter et avec lui divers personnages, anciens ministres ou publicistes soupçonnés d’être ses complices. Ces malheureux sont incarcérés à la Tcherna Djamia (la Mosquée Noire), prison où l’on enferme les pires malfaiteurs et placés sous la surveillance de ce major Panitza dont nous avons déjà parlé, un des héros de la révolution rouméliote et qui s’est signalé par ses atrocités pendant la guerre serbo-bulgare, véritable bandit à qui ne répugne pas le métier de bourreau et qu’en dépit de son indignité et bien qu’il l’accuse de faire porter à sa femme des bijoux volés, Stamboulof, pour se l’attacher, a nommé commandant de la place de Sofia et inspecteur de la justice militaire. Panitza se transforme en tortionnaire. Il martyrise les prisonniers placés sous sa garde. Ils sont fouettés jusqu’au sang et leur flagellation se renouvelle à plusieurs reprises. Celle de Karavélof se distingue par des raffinemens de cruauté.

Ces drames de la prison ont au dehors une répercussion bruyante. Les familles des suppliciés, leurs femmes et leurs filles, remplissent la ville de leurs gémissemens. Stamboulof refusant d’écouter leurs doléances, elles s’adressent aux agens étrangers. Ceux-ci interviennent, protestent, somment le dictateur de renoncer à ces mesures barbares. Il les laisse parler et, quand ils sont partis, il donne les ordres les plus sévères pour que rien de ce qui se passe à la Tcherna Djamia ne transpire plus au dehors.

Cependant l’Europe s’est émue aux récits des horreurs dont la prison est le théâtre. Les gouvernemens invitent leurs représentans à Sofia à prêcher à Stamboulof la modération, l’humanité, la clémence, mais ils n’indiquent pas les moyens qu’il faudrait employer pour le contraindre à suivre leurs conseils. Ils sont d’avis que, seule, la Porte, en sa qualité de Puissance suzeraine, a le droit d’exiger. Mais la Porte reste sourde, immobile et silencieuse. Ce gâchis a pour conséquence d’ébranler la confiance que le pays avait en Stamboulof. On l’accuse d’aspirer