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neveux et nièces, sa belle-sœur, Anna Kummel, qui porte toujours un tablier brodé sur sa jupe noire, qui chante si bien au fond de sa cuisine : Mein Herz ist ein Bienenhaus… Durant quelques jours on a vu ici ou là sa tête osseuse, ses yeux vifs au regard fuyant, ses joues plates. Le juge le saluait très bas, le gendarme encore plus bas. Puis il est parti pour Paris où l’attendaient des affaires. Il faut croire que le Lehrer Kummel s’est abreuvé à la source, car après ce départ, comme obéissant à un mot d’ordre, son patriotisme s’est exacerbé.

Certain matin que Reymond n’avait pu assister à la leçon donnée par Kummel à ses élèves, il les trouva hors des gonds, brandissant un papier, criant ensemble :

— Lisez ça, monsieur ! Nous devons le mettre en allemand. C’est dégoûtant !

Reymond prend le papier. Il lit :

« L’Allemagne, centre de l’Europe.

« Ce n’est pas seulement par sa situation géographique, mais bien aussi par son importance morale que notre chère patrie est le centre de l’Europe. En considérant nos voisins, nous constatons en eux des défauts trop caractéristiques pour qu’on puisse les nier. Les Anglais sont incapables de fournir des savans, alors que notre pays s’enorgueillit à juste titre d’une foule de chimistes, de physiciens, de mathématiciens du plus haut talent. Nos universités n’envoient-elles pas des rayons de lumière jusque dans les lieux les plus reculés de la terre ? On doit reconnaître que les Français et les Belges ont un certain esprit d’invention. Mais leur légèreté et leur insouciance les empêchent totalement de s’attacher à leurs découvertes et d’en tirer profit. S’ils avaient la profondeur de notre caractère, ils se rapprocheraient un peu de ce peuple allemand dont vous faites partie. Tandis que chez nous, du premier au dernier, chaque fonctionnaire fait son devoir, nous voyons chez nos voisins le plus grand désordre dans toute l’administration et le manque absolu de patriotisme. Les Italiens sont trop passionnés pour pouvoir juger sainement des choses. La raison, qualité maîtresse dirigeant toutes nos entreprises, ne peut diriger nos fougueux voisins.

« On n’ose presque pas parler de l’ignorance et de la paresse