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Mitrailleuses et fils de fer : machinerie et combinaison formidable qui s’oppose à la plus déterminée des offensives par le fer et par le feu ! Tant que les terribles engins ne sont pas muselés, tant que les réseaux ne sont pas bouleversés et détruits, toute attaque qui vient s’y heurter est vouée à un échec sanglant. Les vagues des assaillans se brisent en remous sur l’obstacle, et toute troupe aventurée dans les mailles du filet y demeure empêtrée, accrochée, happée, déchirée par les ronces inextricables et hargneuses. Si alors la mitrailleuse, jusque là muette, déclenche son terrible aboiement, c’est un des spectacles les plus tragiques de la guerre : celui d’une ligne d’hommes abattus en quelques secondes, littéralement fauchés comme par une grande lame meurtrière promenée au ras du sol (mowed down, disent les Anglais). Atteints aux jambes par le tir rasant déchaîné, les combattans sitôt tombés sont fusillés en plein corps, — de là les cadavres criblés de balles, — à moins qu’ils n’aient la chance de rencontrer dans leur chute un trou d’obus providentiel et sauveur ! L’artillerie, de son côté, exécute bien des tirs dits en fauchant ; mais les obus explosifs contre le personnel agissent plutôt comme des coups terribles de haches innombrables. Leurs effets sont plus dramatiques, faisant voler têtes ou membres, pulvérisant ou déchiquetant les corps humains. Le travail de la mitrailleuse est, si l’on ose dire, plus propre et moins sanglant, mais non moins implacable et plus meurtrier peut-être.

Aussi il n’est pas un chef d’infanterie conducteur d’hommes dont le cœur ne se serre de la plus tragique angoisse, lorsque, voyant sa troupe se heurter à des réseaux intacts, il entend se déclencher le terrible tac tac de ces horloges de la mort, dont chaque battement, à une cadence de bêle emportée, sonne le glas d’un être humain qui lui est cher !

Pourtant, les réseaux bouleversés, les fils de fer détruits, les mitrailleuses muselées, la tâche n’est pas terminée pour l’infanterie qui attaque. Sa marche rencontrera encore bien des difficultés dans un sol tourmenté, chaotique, à l’aspect extraordinaire de cataclysme ou de paysage lunaire semé de trous, de cratères et d’entonnoirs ; dans un terrain défoncé, crevassé, déchiqueté, hérissé et creusé comme les vagues de la mer,