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renforts qu’il attend désespérément vont peut-être lui parvenir. Son frère Hasdrubal lui amène d’Espagne une trentaine de mille hommes. La face de la guerre peut encore changer. Rome se reprend à trembler. Elle procède en hâte à de nouveaux armemens. Il faut empêcher à tout prix la jonction des deux frères. On lève deux armées consulaires, de 25 000 hommes chacune. L’une, sous le commandement de M. Livius Salinator, doit arrêter Hasdrubal au débouché de la Cisalpine. L’autre, sous le commandement de G. Claudius Nero (Néron), doit contenir Hannibal dans le Sud de la péninsule. Néron, par une audacieuse manœuvre sur lignes intérieures, procure la victoire aux Romains. Tandis que son armée et celle d’Hannibal s’observent vers Canosa (sur l’Ofanto, en amont de Cannes), il prend avec lui, en grand secret, 7 000 de ses meilleurs soldats, remonte à marches forcées vers le Nord, et va rejoindre son collègue, lui assurant la supériorité numérique sur Hasdrubal. La bataille se livre au passage du Métaure, en Ombrie. Les Carthaginois succombent, et Hannibal, quinze jours plus tard, apprend la ruine de ses espérances en voyant jeter à ses avant-postes une tête coupée qu’il reconnaît pour celle de son frère. Il comprend alors que les temps sont révolus. Il s’enfonce plus avant dans la Calabre, et s’obstine à y rester quatre ans encore, espérant toujours obtenir, non plus une grande victoire, mais une paix avantageuse pour son pays.


Il ne me reste qu’à raconter le dernier acte du drame. C’est l’acte du dénouement, et du dénouement par les armes. Gardons-nous de toute illusion. L’usure est un moyen, ce n’est pas une fin. Car, si elle modifie peu à peu les conditions initiales d’équilibre des forces, elle n’annihile jamais totalement les forces de celui qui s’épuise le plus. Il ne suffit pas d’affamer la bête, il faut la forcer et la servir. La défensive n’aboutit qu’à des solutions ambiguës. L’offensive seule donne la décision.

Rome le sait. Elle va, après la longue attente, reprendre l’initiative des opérations. Elle va déplacer le théâtre de la lutte, libérer définitivement l’Italie, et écraser l’ennemi chez lui, en Afrique. L’honneur de porter ce coup suprême revient à un général nouveau, à P. Cornélius Scipion, qui méritera le surnom d’ « Africain. » C’est le fils du premier adversaire