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s’attendre à rencontrer quelques fortes têtes, — ont été transférés dans un pénitencier agricole. Ils sont rares. D’une façon générale, on peut dire que les internés, par leur tenue et leur politesse, font chez nous de la bonne « propagande française. »

— On aime beaucoup les Français ici, nous disait, à Thoune, un brave employé suisse aléman. Et d’abord, les Français, ils sont les plus polis...

Des traits de cette politesse, de cette délicatesse de sentimens, combien n’en pourrait-on pas citer !

Une école de jeunes filles en promenade descendait à Saint- Cergues et Chantalt en chœur. Au tournant de la route, elles aperçurent les soldats français et s’interrompirent de leur chant. D’une voix unanime elles crièrent : « Vive la France ! » Alors, eux, spontanément, tandis qu’elles défilaient, se sont alignés et se sont mis au port d’armes devant ces enfans.

Un interné très souffrant ne pouvait supporter aucune nourriture. Chaque jour, le médecin soucieux entrait dans sa chambre et recevait la même réponse. Le soldat, craignant qu’il ne fût froissé, lui dit vivement :

— Oh ! monsieur le major... ce n’est pas à cause de ce que vous me donnez ici... c’est à cause des cochonneries que j’ai mangées là-bas !

Ils sont très sensibles à l’atmosphère de sympathie et d’affection qu’ils sentent autour d’eux. Affection qui, dans certaines localités, confine à l’idolâtrie, et dont on est obligé parfois de préserver les internés. Il a fallu interdire les invitations chez les habitans qui offraient de trop copieuses libations, oubliant, dans l’effusion de leur enthousiasme, que nos hôtes sont des malades.

A Interlaken, et dans beaucoup d’autres villes, un groupe de dames se charge de faire blanchir le linge des soldats. Et elles viennent à tour de rôle, une fois par semaine, surveiller l’état des sous-vêtemens [1], raccommoder, recoudre, rendre de menus services maternels. Un peu partout, des comités de secours [2] se sont formés.

Mais c’est surtout dans les regards et les sourires des passans que nos hôtes lisent notre amitié, et dans l’admiration

  1. Le gouvernement français pourvoit les internés des vêtemens nécessaires peu de semaines après leur arrivée.
  2. Les internés jouissent de la franchise postale en Suisse pour leurs lettres, leurs mandats et les colis jusqu’à cinq kilogrammes.