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ON CHANGERAIT PLUTÔT LE CŒUR DE PLACE…

— Quand on vit en Allemagne, mon ami, sous la protection de la force allemande, il convient de se montrer reconnaissant S’intéresser aux choses allemandes, à la flotte allemande, aux colonies allemandes, aux élémens de cette richesse allemande dont vous profitez largement en Alsace, est un devoir. En revanche, j’en suis sûr, tu sais par cœur les noms des quatre-vingt-six départemens français, des deux ou trois cents sous-préfectures, dont la plus importante a moins de vie intellectuelle et industrielle que Friedensbach… À l’autre, maintenant. Une question d’histoire : les noms et l’œuvre des six premiers électeurs du Brandebourg…

Courageux, René se jeta à l’eau.

— Albert l’Ours, Othon l’Oiseleur… Louis le Germanique., non, pas celui-là… et puis… et puis…

— Cela peut suffire.

Mais René prit l’offensive :

— Monsieur, je sais l’histoire d’Allemagne… la maison de Saxe, de Franconie, la querelle des Investitures… la Bulle d’Or…

L’inspecteur ferma ses yeux verts, secoua la tête.

— Mon ami, quand je demande les noms des six premiers électeurs du Brandebourg, je ne demande pas une conférence sur la Bulle d’Or. Les élèves allemands ont l’habitude de répondre à la question posée de la manière la plus précise, la plus absolue… Cela s’appelle la discipline d’esprit… Je me retire, monsieur le professeur !

On se regarda avec stupeur. Un désastre. Jean se précipitait sur un atlas, René sur le répertoire des souverains. Et l’un disait :

— C’est dégoûtant : me demander le Togoland, quand je sais les noms de toutes les principautés allemandes !

Et l’autre :

— Et moi, je sais les noms de tous les Habsbourg, des Hohenstauffen…, des masses d’autres choses… Et avec la Bulle d’Or je l’aurais épaté…

Reymond, lui, se taisait ; il voyait l’avenir en sombre. Il lui fallut de l’énergie, pour dire enfin :

— Revenons à Calypso, cela vaudra mieux…

Mis au courant, M. Bohler, en homme de bon sens, opina qu’il n’y avait qu’à attendre les événemens.

Ils vinrent sous les espèces d’une lettre comminatoire. L’inspecteur déplorait l’ignorance des inculpés « dans les