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ON CHANGERAIT PLUTÔT LE CŒUR DE PLACE…

Kummel d’aplomb sur le crâne, ce Döring transformé en derviche tourneur !… C’était tout à fait réconfortant.

— Très chic ! très chic !… criaient les élèves au comble de la joie.

Un bûcheron à la barbe de lichen s’était détaché de la foule. Lui aussi tendait la main à Reymond, expliquant des choses en alsacien.

— Qu’est-ce qu’il dit ?

— Il vous remercie. Vendredi, sur une dénonciation du forestier, le juge lui a flanqué cinquante marks d’amende. Alors, il vous remercie. Il appelle ça la revanche… Là-dessus, rentrons. Nous n’avons pas perdu notre journée.

Ce n’est pas impunément qu’on attente, même involontairement, à l’équilibre de fonctionnaires impériaux.

La voix de René Bohler, ouatée par le ronflement des machines, célébrait la beauté de Calypso, quand la vieille bonne heurta à la porte de la salle d’études. Elle eut ces mots qui glacèrent professeur et élèves :

— Monsieur l’inspecteur…

Aussitôt il s’avança. On ne remarqua d’abord qu’une tête de vautour pensif, un corps très long, des pieds très larges. Reymond, Jean, René, respectueux, s’étaient levés, inclinés. Le professeur se présentait, présentait ses élèves en un allemand laborieux.

— Êtes-vous aussi le professeur d’allemand ? demanda M. l’inspecteur en français. Et il plissait son nez, ce qui infligeait à ses lunettes un singulier mouvement de va-et-vient, à ses joues plantées de poils courts et raides, un frémissement goulu.

— Non, monsieur.

— Alors, qui, je vous prie ?

— Une demoiselle.

— Ah !… Une demoiselle !… Pour le français, un professeur ; pour l’allemand, une demoiselle. Et son nom, je vous prie ?

Mlle Wahler.

— D’où ?

— De Mulhouse.

— Ah ! cette demoiselle donne aussi, je le sais, des leçons de français en cette métropole de l’esprit qu’est Mulhouse… La double culture !… la grande idée alsacienne !… Nous, universi-