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moyenne. Une nuit, l’infirmier se leva, et il en trouva un mort dans son lit. Il alla au lit suivant, et l’homme aussi était mort. Et il en trouva encore un troisième… Après, quand ce ne fut plus l’hiver, cela alla mieux.

Des Belges et des Français appartenant aux terres envahies n’ont jamais reçu de colis. Un petit civil de vingt-trois ans n’a reçu son premier paquet qu’au mois de mars dernier. Heureusement, ils étaient quatre camarades du même pays, et celui qui avait donnait aux autres.

Jamais de colis !… Après tout l’effort unanime des familles et des Comités !… Peut-être les envois collectifs tels qu’on va les effectuer désormais atténueront-ils de pareilles injustices.

Ils décrivent la souffrance des Russes affamés qui ramassent avec les mains, dans la boue, la soupe renversée, qui vont chercher dans les ordures des débris affreux. Ils étaient si affaiblis qu’on les voyait tomber quand ils allaient à la corvée. Quelques-uns mouraient ainsi, sur place.

— Il y avait une masse de Russes qui mouraient. On les mettait, enveloppés d’une toile, dans un grand sillon, tous ensemble. Et puis on mettait de la terre dessus…

Leur misère était telle qu’ils vendaient pour rien leurs bardes. Un territorial nous montre sa vareuse beige taillée dans une capote de Russe qu’il a payée un mark, et de belles bottes presque neuves qui lui ont coûté deux marks. Ou leur achetait une montre pour un mark.

— Et une magnifique montre, en or, la plus belle que j’aie jamais vue, s’est vendue pour dix francs.

L’arrivée des Serbes reste gravée dans les mémoires. Les prisonniers serbes, après la retraite de l’automne 1915, furent amenés dans les camps à la fin de décembre, affamés, demi-nus, exténués, les pieds saignans. Les Français et les Belges leur donnèrent de la nourriture. Ils se jetèrent dessus. Bientôt on dut les mettre dans un camp d’isolement, car ils apportaient la variole. Au mois de mars, on les fit partir pour un autre camp et ils travaillèrent dans les marais. À la fin de mai, on les vit revenir dans le camp des isolés. Et on disait qu’ils avaient le typhus…

Et puis ce sont des récits d’évasions invraisemblables, dénotant une invention, une ténacité, une audace merveilleuses, et révélant quelles souffrances !…