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Vanier va rejoindre son colonel au cantonnement de repos où il retrouve son régiment.

— Je te nomme caporal, lui dit le colonel qui l’embrasse. Ainsi le brancardier Vanier a-t-il gagné ses galons de laine.


X. — QUELQU’UN EST RENTRÉ

L’aspirant Buffet, du 140e régiment, qui assistait le capitaine Tabourot mourant et qui est sorti du fort dans la nuit du 4 au 5 juin avec un détachement de sa compagnie, appartient, lui aussi, à la classe 1916. Il se destinait à l’enseignement quand la guerre l’a pris. Le futur instituteur est un petit homme frêle. Le visage qui porte une barbe courte est tout brûlé par des éclats de grenade et des jets de flammes. Quand il arrive au poste de commandement de la division, il a les yeux presque hagards et paraît être dans cet état d’agitation qui précède l’épuisement nerveux. Cependant, il donne sur les combats à l’intérieur du fort, sur les travaux allemands, sur les positions allemandes, des précisions et des déductions telles que le divisionnaire l’envoie au quartier général du secteur.

Là, il recommence son récit et ses explications. Le général l’écoute, l’observe, puis lui ordonne le repos. Le jeune homme, à bout de forces, se couche. Quelques heures plus tard, lavé, rasé, nourri, il apparaît déjà transformé.

De nouveau, le général le reçoit. Le temps presse : un cas grave va se poser. Une attaque est préparée pour dégager le fort. Elle sera déclenchée dans quelques heures. Le commandant Raynal peut contribuer à son succès. Qu’il signale, s’il le peut, la position des mitrailleuses ennemies sur le fort, qu’il dirige ainsi dans la nuit le tir de l’artillerie : il aidera à l’opération. Qu’il retienne, pendant qu’on travaillera ailleurs, l’ennemi dans les gaines des coffres. Mais comment parvenir jusqu’à lui ? A diverses reprises, des reconnaissances et des corvées d’eau ont essayé d’entrer en liaison avec lui, de le ravitailler. Elles n’ont pas pu franchir la gorge, arrêtées ou fauchées par les barrages allemands, ou, peut-être, par la mitrailleuse qu’il a fait lui-même placer pour garder le fossé du Sud, Celui qui connaîtrait les êtres du fort, ses tenans et ses aboutissans, pourrait peut-être remplir une mission aussi délicate. L’aspirant Buffet est seul à posséder cette supériorité.