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à faire là-bas à ramasser tous ses malheureux. Pourquoi ne pas vouloir de femme là où elle serait si nécessaire ? Ah ! oui, la place des mères, c’est de ramasser tous ces pauvres enfans et leur donner une bonne parole. Remplace les mères, toi, mon chéri, fait tout, même l’impossible, pour faire du bien, oui, beaucoup de bien. Je te voit, aller, courir, ramper à la recherche de tout ces blessés. Oui, je voudrais me faufiller là près de toi, mon petit, je sent que c’est là ma place près de vous. Courage, courage, je sait que c’est le début de la fin qui sera bien belle pour tout ceux qui auront combattu la juste cause... »

Ces mères françaises, ne sont-elles pas au front avec chacun de leurs enfans, saignant de toutes leurs blessures, mais les poussant en avant, vers le devoir, pour le pays ?

Le brancardier Vanier est au fort depuis le ler juin, desservant avec ses camarades le poste de secours, sous le commandement des admirables médecins Gaillard, Conte et Baramé. Il faut donc à tout prix dégager la garnison. La sortie du 4 au soir a échoué. Le 5 est une journée épuisante qui s’achève dans l’étonnement de résister encore. Que sera-t-il du lendemain ? Mieux vaut ne pas l’attendre. Ce qui reste du 101e et des 7e et 8e compagnies du 142e va tenter de partir.

Vanier forme groupe avec les hommes du 101e. Ils sont au nombre de 34 et, parmi eux, il y a des blessés. La consigne est de quitter le fort à n’importe quel prix, sans s’occuper les uns des autres. Chacun a dans le jour repéré sa direction. Vanier, à dix heures et demie du soir, saute le premier dans le fossé, avec un camarade. Tous deux remontent la pente en rampant et les voilà courant à toutes jambes.

— Halte-là !

Ils s’arrêtent et se jettent dans un trou d’obus. Vanier a compris : Wer da ? Il arme son revolver et dit à voix basse à son compagnon :

— Mon petit, ne viens pas avec moi. Je ne veux pas être prisonnier : je me ferai tuer.

— Mais c’est un Français, répond l’autre.

Ils s’approchent et se font reconnaître. A deux cents mètres du fort à peine, ils sont tombés sur un détachement du 298e. On les emmène à l’arrière, on leur fait boire du vin, — du vin ! quand on n’a pas bu d’eau depuis trente-six heures ! — on les interroge.

Sur les trente-quatre, cinq seulement ont manqué à l’appel.