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Lespérance. L’un se devine perdu ; l’autre l’estime trop pour recourir au mensonge. Un serrement de main, puis le commandant du fort se contente de dire :

— C’est très bien, mon ami.

Le capitaine pense à ses hommes :

— Mon commandant, si les Boches passent, ce n’est pas la faute de ma compagnie. Elle a fait tout au monde pour leur barrer le chemin.

Après ce témoignage, il ferme les yeux. Chacun a repris son poste. Le capitaine est seul avec un infirmier parmi les blessés qui se lamentent. 11 réclame après un instant l’aspirant Buffet. Mais l’aspirant Buffet se bat avec le reste de la compagnie.

— Il faut le laisser, dit le mourant.

Un peu plus tard, l’aspirant Buffet vient de lui-même le rejoindre. Menacé d’être tourné, ce qui restait du peloton a dû se frayer un passage pour rentrer dans le fort.

— Approche, mon petit ; toi qui es de Dijon, si tu reviens de la guerre, tu diras à ma femme comment je suis mort. En paix avec sa conscience de chef, l’homme s’est tourné vers son foyer. Ce furent ses dernières paroles. Désormais, jusqu'à la mort, qui tarde de quelques heures, il réserve toutes ses forces à ne pas accuser les horribles blessures auxquelles il ne pouvait survivre.

Déjà son nom court dans la nuit, porté par un pigeon qui s’est envolé du fort à trois heures du matin : L’ennemi est autour de nous. Je rends hommage au brave capitaine Tabourot, très grièvement blessé (142e) ; nous tenons toujours. Quelques heures plus tard, un second pigeon annonce sa mort : Capitaine Tabourot, du 142e, mort glorieusement blessure reçue en défendant la brèche Nord-Est. Demande pour lui Légion d'honneur.

Ce n’est là qu’une partie du message : l’autre a trait aux opérations.

Cependant, les Allemands sont parvenus aux deux brèches ouvertes, l’une dans le coffre double Nord-Ouest et l’autre dans le coffre simple Nord-Est. Ils essaient d’en forcer le passage. A chaque entrée, c’est une lutte corps à corps. Sur la droite, ils sont tout d’abord repoussés. « Nos grenades, dit un des com- battans, faisaient des vides dans leurs rangs ; mais des renforts arrivaient toujours. Leurs morts et leurs blessés formaient