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il a souvent conduit les combattans à des erreurs ayant entraîné les conséquences les plus graves, que mes lecteurs me pardonneront, malgré l’aridité du sujet, de l’exposer avec quelques détails. Il n’est aucun effort qu’on ne doive s’imposer lorsqu’il s’agit d’avertir nos soldats d’une embûche qui leur est périlleuse, même si, comme c’est le cas, cette embûche est posée par la nature elle-même, et non par la volonté de l’ennemi.

Chose étonnante, ce phénomène d’illusion acoustique était jusqu’ici presque complètement ignoré des physiciens et beaucoup des traités de physique et d’acoustique les plus récens et les plus complets n’en font même point mention. En revanche, il n’avait point échappé aux balisticiens et aux spécialistes des armes à feu, et il avait été, déjà il y a près de trente ans, découvert, mis en évidence par eux. Cela prouve que la science pure a toujours à gagner à ne point perdre contact avec les sciences appliquées ; si celles-ci dérivent toujours d’elle comme le fleuve de la source, en revanche la réciproque est plus souvent vraie qu’on ne pense : « on a souvent besoin d’un plus petit que soi, » et les faits nouveaux apportés à la physique par le maniement des armes à feu, que nous allons examiner maintenant, en sont une fois de plus la preuve.

Ces faits se rapportent à ce que nous appellerons, pour simplifier, la fausse détonation des projectiles. Constatés déjà vers 1888 dans les expériences des capitaines français Journée et Sabouret et de l’Autrichien Mach, ils étaient connus des spécialistes surtout, grâce à une série d’articles du capitaine Hartmann parus dans la Revue d’artillerie, et à la remarquable brochure du capitaine Moch : La poudre sans fumée et la tactique, à laquelle j’ai déjà fait allusion.

Sans s’astreindre à un exposé rigoureusement scientifique dont la précision exigerait un appareil de formules rébarbatives dont la place n’est point ici, on peut, je crois, expliquer simplement de la façon suivante ce dont il s’agit.

Lorsqu’on étudie, dans les polygones et champs de tir, les armes (fusils ou canons) tirant des projectiles à grandes vitesses initiales, on constate souvent des écarts entre les distances de tir mesurées sur le terrain et celles déduites, par la méthode que nous avons indiquée, des temps que met le son pour arriver au but. On constate que ces écarts correspondent à une vitesse du son dans l’air très supérieure à 330 mètres par seconde et qu’ils sont, toutes choses égales d’ailleurs, d’autant plus grands que la vitesse initiale du projectile est elle-même plus grande. En particulier avec les balles du fusil modèle