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REVUE SCIENTIFIQUE

LE BRUIT DE LA BATAILLE [1]
II
LA DÉTONATION DES OBUS ET DES BALLES

C’est au cinéma que les Parisiens vont aujourd’hui recueillir l’écho et le reflet amortis de la bataille ; c’est lui qui aujourd’hui « verse quelque héroïsme au cœur des citadins. « Mais il ne faudrait Pas se fier plus que de raison aux impressions qu’on en rapporte. Lorsque, par exemple, sur la toile blanche se projette soudain le petit nuage pommelé d’un obus lointain qui éclate, ou la légère fumée d’une pièce lançant son projectile, celui des musiciens de l’orchestre qui est spécialement préposé au sonore maniement de la grosse caisse déclenche simultanément et d’un coup formidable le « boum » qui est censé être celui de cet éclatement ou de ce coup de canon. Or ce faisant, l’artiste commet une grave erreur et il contribue à donner au public une fausse idée de ce qui se passe : si en effet l’obus éclate par exemple à un kilomètre de l’observateur, c’est seulement 3 secondes après l’avoir vu éclater qu’on entendra le fracas de l’éclatement, puisqu’il faut ce temps au son pour parcourir 1 kilomètre à sa vitesse dans l’air de 330 mètres environ, tandis que la lumière se propage d’une façon pratiquement instantanée (300 000 kilomètres à la seconde, près d’un million de fois plus vite que le son). Il s’ensuit qu’il existe continuellement une disjonction, une séparation, une sorte de décalage entre ce qu’on voit d’un coup de canon et ce qu’un en entend, et comme les distances auxquelles sont tirés et éclatent

  1. Voyez la Revue du 1er septembre.