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achever sa lecture. Et, quand il a laissé tomber le nom attendu : « Charles Evans Hughes, » une nouvelle démonstration commence. Un délégué du Maine lance à tour de bras un symbolique éléphant de carton. A ce signal, des délégués se lèvent. Ils acclament Hughes. Leurs voix s’accompagnent d’une gesticulation frénétique. Les crécelles font rage. Des hommes qui paraissaient, un instant plus tôt, dignes et même vénérables, poussent maintenant des hurlemens de possédés. Des bannières se rangent. Autour des allées, qui partagent la grande salle, une procession commence. L’Orégon la mène. Le Michigan, le Mississipi, le Vermont suivent. Mais la délégation de New-York reste en grande partie sur ses sièges. La mise en train de la manifestation, organisée par les partisans du juge, ne provoque pas la réponse à laquelle ils s’attendaient. Unie contre Roosevelt, la majorité des délégués se réserve encore, tandis que les galeries gardent à leur tour le silence, — un vrai silence de juge à la Cour suprême.

Après vingt minutes d’une ovation plutôt laborieuse, le docteur Nicholas Murray Butler, chargé de présenter, pour le même Etat de New-York, un autre candidat, parvient à gagner l’estrade. Sa parole correcte, élégante, mais froide, retentit dans un impressionnant silence : « Dans cette grande circonstance de l’histoire du monde, » dit-il, « la République réclame les services de ses fils les plus dignes et les plus forts. » La convention commence à se lasser ; il est près d’une heure. Un délégué, épuisé, s’endort sur son siège : « Ce n’est pas ici l’instant, crie, avec un regain de vigueur, le docteur Butler, de faire des complimens. Faut-il admettre que le meilleur des fils de la République soit trop digne pour être reconnu par un gouvernement populaire ? » Et après avoir brillamment exposé les titres de son candidat, au moment où, dans le ciel lourd, passe, sur le Colisée, un roulement de tonnerre, l’orateur laisse tomber le nom d’Elihu Root, ancien secrétaire d’Etat. Aussitôt les partisans de Root se chargent de prouver que leur candidat n’est pas si vieux qu’il ne puisse susciter un enthousiasme juvénile. Une grande partie de la délégation de New-York est debout. D’autres se lèvent. Gris et crécelles reprennent. Le public s’en mêle. Dans la galerie supérieure, une femme, agitant, dans chaque main, un drapeau, pousse convulsivement, en faveur du candidat, des miaulemens de chat sauvage.