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semble dissimuler ni désir ni regret. La nuit de ses cheveux doit être fraîche et constellée de nombreux parfums. Ingénue par la nonchalance de son geste et pour la fraîcheur de sa bouche, on démêle en ses yeux de sombre agate une assurance impérieuse qui défie tout savoir. Ses bras traînant parmi les remous de l’air, sa main qui tient un éventail à plumes de paon, accepteraient toutes les caresses, mais n’en veulent aucune. De son regard à son geste, tout en elle est sensuel et lent, ainsi qu’il sied en ces voluptueux climats.

« Dehors, la polychromie des oiseaux rares s’ébat en centaines de cris étranges, insolites. Des papillons irisés doivent émerger de l’ombre avec l’allégresse des pierreries, vibrer et repartir. La moiteur des forêts proches insinue son odeur, changeante et tiède comme la pelure hâlée des mangues. Quels fruits tombés vont mûrir sur la dentelle des ombres, noirs de mouches ! Un mirage de lourdes ramures, où les faséoles oscillantes se froissent aux palmes aiguës, arrive dans les poussées d’air. Et pour tempérer le silence du soleil, on a donné libre cours aux mouvemens d’eaux grêles ou plus sonores.

« Mais, mon rêve, contiens-toi. La vie, sache-le, n’est guère que contradiction. Une pensée riche se heurte au mépris, un nuage couvre vite le ciel, un chant gai fait tôt d’être triste. Tes visions, laisse-les. Quel papillon nacré vaut, saisi, celui qui lutine sa compagne en plein ciel ? Ne cherche ni le pays que tu désires, ni l’amitié ni l’amour que tu voudrais. Les femmes sont partout insouciantes, les jeunes gens présomptueux, sceptiques les sages et, pour visiter le monde, conviens-en, tu n’as songé qu’à l’idéal.

« En échange, ta fenêtre s’éclaire souvent d’un si bel azur ! »


Azur !… Ce mot infini termine cette belle page ou, plutôt, la laisse ouverte et comme béante sur je ne sais quoi d’illimité, sur le pays futur du suprême voyage… Et aussi sur un autre bel azur ! Sur celui qu’Hernando chérit entre tous ; l’azur doux et souvent voilé, l’azur pâle de ce ciel français qui lui est si cher, où le plus volontiers volent ses pensées et ses rêves, oiseaux tropicaux aux ailes brillantes, mais déjà acclimatés et charmés par la bienveillance de l’air limpide, de l’air frais et