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« Les députés socialistes que nous envoyons au Parlement bourgeois obéissent au même régime. Ceux qui sont du Midi, sont pour les vins, et ceux qui sont du Nord sont pour la betterave. Ceux qui représentent le Midi protègent vigoureusement les courses de taureaux. Mais ceux qui sont du Nord ont un faible pour les combats de coqs. Il faut bien plaire aux électeurs. Et si on ne leur plaisait pas, ils voteraient pour des candidats non socialistes. »

Ce robuste bon sens, ce sentiment si vif de l’intérêt national, cette révolte contre les hypocrisies de la farce électorale, ce souci constant de la vérité, ce dédain de plaire aux puissances : nous les retrouvons d’un bout à l’autre de son œuvre.

Il ne m’appartient pas de la juger du point de vue littéraire. Je m’en réfère là-dessus aux études si intelligentes et si pénétrantes qu’elle a déjà inspirées à ses amis, à ses pairs, à ses contemporains et à ses anciens. Le profane que je suis osera pourtant confesser le plaisir qu’il a pris au divertissement qu’il intitule : La chanson du roi Dagobert. Ce morceau n’est pas seulement de la drôlerie la plus savoureuse. La profession de foi, car c’en est une, que Charles Péguy met dans la bouche du roi Dagobert sur « les deux races d’hommes » est, ou je me trompe fort, une pièce capitale de sa philosophie.

Cet ancien normalien que d’un pseudonyme d’affectueuse gouaillerie ses soldats de la grande guerre, ceux qu’il conduira jusqu’au bord de la victoire de l’Ourcq, ont surnommé « le Pion, » cet universitaire a l’horreur du pion. Il dresse en face l’une de l’autre deux races d’hommes : les livresques et les autres, ceux qui tiennent des autorités pour des raisons, qui ont désappris, s’ils le surent jamais, à penser par eux-mêmes et ceux qui placent au-dessus de tout l’indépendance de leur pensée et la liberté de leur raison ; ceux qui connaissent les livres et qui ne connaissent qu’eux, pour lesquels les choses ne sont visibles qu’à travers les auteurs, — « Cette Voulzie qui existe vous embête, » — et ceux qui connaissent les réalités. Péguy a le dédain, j’oserai dire la nausée des pédans, parce qu’il en a trop vu et aussi parce que sa passion de la vérité et de la réalité s’exaspère jusqu’à la fureur contre l’artificiel, le plaqué et le faux-semblant.