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qu’il entrevoit ce dénouement, soit qu’un légitime orgueil le retienne à son poste et l’empêche de se dérober, soit que, malgré tout, il ne juge pas que la partie soit perdue pour lui.

A cette époque, un événement considérable, susceptible de transformer sa destinée s’est produit et a ranimé ses ambitions, en train de s’éteindre sous l’avalanche des déceptions qu’il a subies et subit encore. Se trouvant à la Cour d’Angleterre à laquelle son frère, le prince Henri de Battenberg, vient de s’allier par son mariage avec une fille de la Reine, il a rencontré une princesse, toute charmante dans la fleur de ses vingt ans, et de laquelle il s’est trouvé subitement rapproché par une sympathie visible et partagée ; elle est la fille du Kronprinz Frédéric, le futur empereur d’Allemagne, et la petite-fille de la souveraine britannique.

Celle-ci ne tarde pas à s’apercevoir que ces jeunes gens sont attirés l’un vers l’autre, et possédée, comme beaucoup de vieilles grand’mères, de l’innocente manie de faire des mariages, elle met en avant le projet d’unir le prince Alexandre à la princesse Victoria. Elle écrit même à son ami l’empereur Guillaume Ier ; elle intéresse à son désir l’impératrice Augusta, étant assurée déjà du consentement des parens de la princesse. Tout marcherait donc à souhait, si le prince de Bismarck ne s’appliquait aussitôt à détruire l’édifice encore fragile qu’essaie d’élever la reine d’Angleterre. Il invoque la raison d’Etat ; il laisse entendre à son maître que le prince de Bulgarie court le risque d’être renversé et qu’il serait imprudent d’exposer une princesse prussienne à être expulsée un jour ou l’autre de Sofia.

L’Empereur se laisse convaincre et, craignant d’ailleurs que ce mariage ne le brouille avec la Russie, il refuse son consentement. Mais à Londres pas plus qu’à Berlin, on ne se décourage. Alexandre, en retournant dans sa principauté, emporte l’espérance que son désir étant partagé se réalisera. On sait qu’il ne devait pas se réaliser, mais ce fut en 1888 seulement que le prince en eut la certitude. L’adolescente dont il avait gagné le cœur lui était restée fidèle jusque là, quoiqu’il eût cessé de régner, et c’est alors seulement que la raison d’Etat prévalut. Mais, en 1885, le roman commençait à peine ; le dénouement devait se faire encore longtemps attendre et sans doute l’espoir d’Alexandre entrait-il pour une part dans la volonté de ne pas abdiquer dont à cette date témoigne encore sa conduite.