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Cependant, il lui sembla que ce n’était plus elle qui soutenait sa vie, mais bien l’ébranlement universel qui la portait et l’emportait, comme un cyclone, un toit de chaume arraché. Elle se laissa soulever et conduire par la vie d’hôpital. Celle-ci était à la fois atroce et presque gaie. Un lieu de douleur, l’évocation perpétuelle d’un horrible à peu près inconcevable par le cerveau humain ; mais aussi une réunion où dominait la jeunesse. Dans les regards des blessés couchés, regards qui prennent tant d’importance pour celle qui passe continuellement au pied des lits, brûlait une flamme, incommodante et attirante, l’incandescence d’un produit nouveau, inexplicable et qui captive. Par momens, on avait l’impression certaine de voir en eux des êtres qui revenaient de l’au-delà. Ils avaient vu ce que rien ne les avait préparés à voir, quelque chose qui les confondait dans leurs sens et dans leur jugement. Quelques-uns disaient : « C’est l’enfer. » D’autres, beaucoup plus simples, disaient seulement : « Il faut y être !… »

Certains, même, sans imagination, sans mémoire et tout entiers au moment présent, enfermaient en eux une inconsciente gravité qui contrastait avec leur nature puérile. D’une façon générale, une infirmière nouvelle, comme Odette, pouvait cependant constater :

— Mais les blessés ne sont pas tristes !…

— Parce que, lui répondait-on, ils sont tous heureux de n’être pas morts !

— Mais, quand ils repartent, objectait-elle, ils ont tant d’entrain !…

— C’est qu’ils s’excitent les uns les autres, et puis chacun d’eux a confiance que le mauvais coup n’est pas pour lui…

— Il y a autre chose aussi, disait Mme de Calouas : c’est que rien au monde n’est attrayant comme la mort, contre laquelle on se défend avec tant d’intrépidité. On lutte contre elle avec la dernière énergie, mais on court vers elle. Elle épouvante, mais elle cause aussi un enivrement bien singulier. Là où l’on sait qu’elle est, on se précipite comme les papillons du soir vers la lumière de la lampe qui les brûle. Ceux mêmes qui croient qu’elle anéantit tout de nous échangent cet anéantissement contre la minute d’augmentation de nous mêmes qu’elle semble procurer. La mort est plus forte que l’amour…

— Oh !…