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une civière : ils le huèrent. Les ceinturons défaits, les havresacs jetés en tas, les fusils épars contre les murs, témoignaient de l’absolue sécurité dans laquelle baignaient tous ces drôles. Brusquement, vers cinq heures, un officier monté accourt au galop, et, « d’une voix de stentor, » crie un ordre. C’est la retraite ! Les hommes, aussitôt, se harnachent, reprennent leurs fusils et reforment les rangs ; aux habitans stupéfaits, les officiers demandent la direction de Sommesous, de Morains, d’Ecury-le-Repos. Et tous s’en vont au pas accéléré, en bon ordre, mais sans fifres. À six heures du soir, il n’y avait plus un Allemand en ville, sauf quelques pochards qui ronflaient dans les caves. Le lendemain seulement, à dix heures du matin, les Français rentraient dans Fère, et, à cette heure-là, le gros de l’ennemi avait depuis longtemps repassé les marais.


vi. — l’aube de la victoire


Le bruit courut cependant que Moussy, le futur héros d’Ypres, avec une division du 9e corps, avait culbuté la Garde dans les marais de Saint-Gond, et des historiens se firent l’écho de ce bruit. À la rigueur, il n’y aurait rien eu là d’impossible. Nos 75 tenaient sous leur feu les sept routes des marais, si rectilignes, si géométriques, que, d’une rive à l’autre, on peut les prendre d’enfilade ; sur presque tout le parcours de ces routes, les Allemands ne pouvaient s’écarter d’un mètre à droite ou à gauche, sous peine d’être happés par la tourbière, et, si notre artillerie avait été en action, ils n’auraient eu le choix, en effet, qu’entre l’extermination sur place ou l’enlisement. Pourquoi notre artillerie n’est-elle pas intervenue ? Les munitions, comme on l’a supposé, lui manquèrent-elles au dernier moment ? Nos services de renseignemens aériens, si actifs pendant la bataille, connurent-ils quelque défaillance vers sa fin ? La vérité est plus simple : ce qui s’était passé pour l’armée Maunoury se passa pour la 9e armée. On sait que la 6e armée, le matin du 10 septembre, au moment où elle allait reprendre l’offensive par son extrême gauche, ne trouva, dit M. Babin, « à peu près plus rien devant elle ; » pendant la nuit, l’ennemi s’était écoulé sans bruit vers le Nord, à l’Est de l’Ourcq, en se couvrant par de solides arrière-gardes. Il en fut tout pareillelement de l’armée von Bülow et d’une partie de l’armée