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jeunes esprits sur les nobles routes de la pensée et du savoir. Ce qu’ils tentaient de faire, c’était de « ramener en France des sentimens qui semblaient éteints, réveiller les rapports de l’homme à la famille, de la famille à la nation, de la nation à la cité humaine [1]. » La pauvre science officielle de la Restauration était impuissante à retrouver les sources de la vie ; alors, on allait les chercher en Allemagne. On allait lui demander les moyens de refaire une France plus belle, plus noble, plus généreuse, plus éprise de vérité et de justice : car, au fond, ce que ces jeunes hommes aimaient dans l’Allemagne, c’était toujours la France.

Aussi quel hymne de reconnaissance monte sans cesse, des lèvres d’un Quinet, d’un Michelet, à cette époque ! « L’Allemagne m’a changé et fortifié, » écrit Quinet, en mai 1827 ; « notre Heidelberg, » écrit-il à Michelet, qui est venu l’y rejoindre en août 1828. « J’ai laissé là quelque chose de moi, » répond Michelet (décembre 1828). Mais alors que, depuis longtemps, Quinet s’est arraché à cet amour, Michelet y persévérera toute sa vie ; bien des années après, en 1848, il ne pourra sans verser des larmes de joie voir flotter au Panthéon le drapeau du Saint-Empire, de sa « chère Allemagne, » et, plus tard, repassant dans son journal les étapes de son existence, il écrit ces paroles brûlantes, où revit l’adoration de sa jeunesse : « Mon Allemagne. Force scientifique qui m’a fait seule pousser à fond les questions. Pain des forts. M’a posé sur Kant. Beethoven, foi nouvelle. Héroïsé, agrandi par Beethoven. Mon Luther, mon Grimm, Herder que Quinet traduisait au moment où je traduisais Vico. »

Mais Quinet eut toujours, et même à l’époque qui nous occupe, une connaissance plus exacte et plus profonde de l’Allemagne et de l’évolution, qui déjà se manifestait en elle. Dès le 7 mai 1827, quatre mois après son arrivée à Heidelberg, il écrivait à Michelet ces paroles prophétiques : « L’Allemagne est aujourd’hui fortement appliquée aux sciences expérimentales dont, en effet, elle avait grand besoin. Elle y absorbe presque tout son génie. Cela ne durera pas toujours, et quand elle reviendra par son mouvement naturel à la spéculation, on verra tout ce que peut produire dans les races germaniques

  1. Edgar Quinet avant l’exil, p. 118.