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mouvement de l’Illyrisme a rendu aux Slaves du Sud la conscience de leurs origines ethniques, progressivement, sur toute la côte orientale de l’Adriatique, l’élément slave a repris la première place. Sur les populations, croates et serbes, du littoral dalmate, la longue domination de Venise, les relations nécessairement établies entre les deux rivages de l’Adriatique avaient bien pu mettre une empreinte latine. Mais il suffit de sortir des villes, de pénétrer dans l’intérieur du pays, pour retrouver la réalité des choses. Ces paysans au type fortement accusé, bergers ou pêcheurs, vêtus de la veste soutachée aux manches flottantes, et coiffés du petit béret en feutre rouge, ces femmes aux costumes de couleurs voyantes, ornés de broderies éclatantes et de pièces de métal, sont de race purement slave ; et la langue qu’ils parlent est le serbo-croate. Ne les interrogez point sur Zara ou Sebenico, sur Spalato ou Trau, sur Raguse ou Cattaro ; ces appellations italiennes, qui nous sont familières, pour eux n’ont point de sens ; ils ne connaissent que Zadar et Sibnik, Split et Trogir, Dubrovnik et Kotor. Ce n’est point aux Italiens, c’est à leurs frères de Croatie, à leurs frères de Bosnie, de Serbie, de Monténégro, que leurs affinités les unissent et que vont leurs sympathies ; et forts de la force que donne le nombre, progressivement, de Fiume à Cattaro, et dans l’Istrie même, ils ont fait reculer la langue et l’influence italiennes.

Il fut un temps, qui n’est pas bien lointain, où dans la diète de Zara la majorité était italienne : elle a passé aux Slaves aujourd’hui. Il fut un temps, qui n’est pas bien lointain, où en Dalmatie toutes les municipalités étaient italiennes ; elles sont toutes slaves aujourd’hui. J’ai connu, il y a moins d’un quart de siècle, une Dalmatie où les complimens officiels de bienvenue s’échangeaient exclusivement en italien ; j’ai vu plus récemment les premiers magistrats des villes haranguer leurs hôtes français en serbo-croate, parce que, pour le principe, si je puis dire, il fallait que, représentans de cités slaves, nettement ils s’exprimassent en slave. Et si l’on regarde les chiffres officiels du plus récent recensement, celui de 1910, on constate en effet qu’en Dalmatie on comptait alors 613 000 Slaves contre 18 000 Italiens seulement, qu’en Istrie il y avait 225 000 Slaves contre 147 000 Italiens, et que Trieste luttait difficilement contre le flot slave envahisseur (119 000 Italiens contre 60 000 Slaves.