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d’aujourd’hui, elle est mare nostro, notre mer. Il n’est personne dans la péninsule qui ne tienne pour un dogme la nécessité de la prépondérance italienne dans l’Adriatique ; et de ce sentiment profond, universel, on trouve un témoignage caractéristique dans l’émotion que souleva, il y a quelques années, l’admirable drame de d’Annunzio, la Nave. On sait comment le grand poète, avec une intensité de vision géniale, y avait peint les rudes débuts de la cité naissant dans la boue des lagunes, de la jeune Venise grandissant parmi la menace des eaux et la fureur des élémens déchaînés, et quelles glorieuses perspectives d’avenir il ouvrait à la ville qui met son espoir dans ses navires, symbole et gage de son salut, de sa destinée et de sa grandeur futures. « peuple, dont les fleuves rongent la terre, écrivait le poète, écoutez sans terreur ce fracas, sans tremblement ni crainte de la mort. Mais tressaillez de joie, car Dieu vous donnera des jours tels qu’on n’en vit jamais, jours non de destruction, mais d’empire. » Et déjà, déployant ses voiles pour des navigations triomphales, le navire symbolique s’apprêtait à porter à travers le monde l’étendard et la gloire de la cité reine, « de la cité bâtie dans les lieux déserts, sans murs, sans portes, sans tombeaux, mais dont la force et les fondemens sont sur la mer. » Et comme pour mieux souligner ces revendications et ces espérances, — saluées en Italie d’un enthousiasme tel qu’il inquiéta en Autriche, — le poète, fièrement, avait dédié son drame au souvenir de ceux qui sont morts à Lissa.

On conçoit dès lors ce qu’ont été, surtout depuis le commencement de ce siècle, les ambitions, les rêves et la politique de l’Italie dans l’Adriatique. Son intérêt stratégique comme son intérêt économique lui commandaient de lutter contre l’Autriche, de rétablir par tous les moyens possibles son influence historique sur le littoral oriental.

C’est pour cela qu’âprement, en Istrie et en Dalmatie, elle soutenait l’italianisme menacé. C’est pour cela qu’elle s’efforçait de pénétrer au Monténégro, que l’alliance des deux dynasties ouvrait à son influence, et qu’elle y prenait, en particulier par la construction du chemin de fer d’Antivari au lac de Scutari, une place chaque jour plus importante. C’est pour cela qu’elle organisait en Albanie une propagande active, économique, financière et scolaire, fondant des banques, des journaux,