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le sourire de leurs lèvres et l’espièglerie de leurs traits ; et Rousseau, d’Alembert, Chardin, des peintres, des écrivains, des princes, des rois, des abbés, des fermiers généraux : tout ce monde sourit, tous ces morts et toutes ces mortes. Et La Tour, leur peintre, sourit, avec politesse et aussi avec la tristesse de qui revient, non de l’Enfer comme Dante Alighieri, mais seulement qui revient de l’âme humaine. Les visages que le marquis de Ségur a peints sourient, quelques-uns parmi leurs larmes ; et lui-même souriait, sans illusion.


Il a écrit : « L’âme humaine ne change guère. La mode, le préjugé, les habitudes de vie, la littérature, modifient l’apparence et l’enveloppe extérieure : le fond reste éternellement le même. Chaque siècle, semble-t-il, dans la balance de l’histoire, offre un total égal de vices et de vertus. » L’apparence et l’enveloppe, l’aspect momentané de l’âme, c’est ce qu’il a examiné avec une prédilection d’artiste, un peu lasse le jour qu’il apercevait, sous le costume varié, l’humanité sempiternelle et son total constant de vertus et de vices.

Le XVIIe siècle, qui a une réputation si bien établie de sagesse, il n’en a pas nié la sagesse ; mais il en a distingué les singularités. Même, il concluait, une fois : « Le grand XVIIe siècle, si galant et si policé quand on le regarde à distance, était, dans la réalité, proche par certains côtés des mœurs brutales du Moyen Age : quelle foncière rudesse d’âme se dissimulait trop souvent sous la pompe fleurie et la grâce des belles révérences ! » A l’appui de cette opinion, qui dérange les idées reçues, le marquis de Ségur nous présente un allié de Louis XIV, Christophe-Bernard de Galen, prince-évêque de Munster, reçu à la cour de France, et à qui le Roi très chrétien fait un accueil magnifique, jusqu’à le « régaler d’une croix en diamans d’un grand prix. » Or, ce Galen, c’est, comme il s’intitule, « le fléau de Munster, Zwolle, Deventer, Groningue et autres lieux ; » c’est un barbare, c’est un diable. Il a bombardé sa ville diocésaine de Munster, avec une férocité incroyable, commandant lui-même son artillerie et visant de préférence les cloîtres et les hôpitaux. Il a inventé, pour la satisfaction de ses rancunes, des projectiles dénommés carcasses, ou bombes incendiaires. Il déclarait : « Il faut qu’un homme de guerre se fasse un plaisir du carnage, de l’effusion du sang, du gémissement