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tout de même plus sa force d’illusion d’autrefois. Elle décline à mesure que décroît sa volonté de vivre.

Il en cherche parmi eux qui consentent à le mener jusqu’à Canton. Tous se dérobent. Introduire un Européen à Canton : c’est la mort pour le Chinois qui l’ose, et pour le Portugais les chaînes, la cangue, l’éternelle bastonnade dans une geôle immonde. On finit par en rencontrer un qui promit de tenter l’aventure, moyennant deux cents cruzados de poivre. Il le conduirait dans une petite embarcation où ne monteraient que ses fils et des serviteurs éprouvés ; et il le déposerait un matin, avec son bagage, à la porte de la ville, devant ce dédale de sentines puantes et dorées. On lui dit de se méfier : le marchand le jetterait à la mer, ou, dès que les portes s’ouvriraient, des soldats le cueilleraient et le traîneraient en prison. « Mais, répondait François, que sont ces risques à côté du danger de perdre sa confiance en Dieu ? »

Septembre, octobre passèrent : le Chinois ne revenait pas. Les bateaux portugais commencèrent à quitter San Choan. L’un d’eux emmena le Frère Alvaro Ferreira, congédié de la Compagnie. Nous ignorons la cause de cette dernière mesure de sévérité. Mais comme elle est impressionnante ! De la mission des Indes, il ne restait près de François que ce Frère parti de Goa avec lui ; et il le chasse. Sur cet îlot désert, le Provincial ne se préoccupe que de l’intérêt de la Compagnie. « Vous ne le recevrez pas au collège s’il vient à Goa. Parlez-lui à la porterie ou à l’église ; et s’il veut être Frère chez les Frères de Saint-François ou de Saint-Dominique, aidez-le. Quant à le recevoir, je vous commande, en vertu de l’obéissance, de ne pas le faire. » Ce sont les derniers mots de sa dernière lettre à Barzée, du 13 novembre 1552. Pas une de ces lettres n’est adressée à Ignace ni aux Pères de Rome. De San Choan il n’a écrit qu’à Barzée, à Pereira et à Perez. D’une lettre à l’autre, ses chances d’entrer en Chine diminuent ; mais ce qui ne diminue pas, c’est son ressentiment contre don Alvaro de Ataïde. Dès son escale de Singapour, il avait pressé l’évêque de Goa de notifier l’excommunication du capitan. Le 22 octobre, il ordonnait à Perez de quitter Malaca. Dans sa lettre du 13 novembre, il revient et insiste sur la nécessité d’excommunier au plus vite don Alvaro, afin que les Frères de la Compagnie ne soient plus exposés à de pareils empêchemens de la part des capitans. Mais, dès qu’il