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de terrain, assez nombreux dans cette partie vallonnée de la Champagne, et, parvenus sur le plateau, en utilisant le couvert des bois de sapins. Le même mouvement de recul se produisait sur toute la ligne du lle corps et à l’aile droite du 9e, au Sud de Morains et d’Ecury-le-Repos, où l’attaque à revers de la Grosse et de la Petite-Ferme entraînait le brusque reflux de Moussy jusqu’au Puits-Perdu, comme à Lenharrée, à Vassimont, à Haussimont et à Sommesous, où tombait le lieutenant-colonel Guibert, et dont la gare, point de croisement des lignes de Châlons et de Vitry-le-François, subissait pendant deux heures les oscillations de la bataille : prise, perdue, reprise jusqu’à trois fois par nos troupes chargeant à la baïonnette dans la nuit, elle finissait par succomber.

La route était ouverte, le terrain déblayé vers Fère-Champenoise, bâtie dans une dépression et où la défense ne pouvait s’organiser que sur les hauts de la ville, directement visés par l’ennemi. Et telle était notre confiance cependant que l’aumônier militaire dont nous avons cité la lettre célébrait tranquillement l’office dans l’église paroissiale de Fère, « remplie de soldats et de gens du pays privés de messe depuis quelques semaines[1]. » Au milieu de l’office, on entend « des coups secs frapper les murailles ; » les vitraux « volent en éclats : » alerte ! Instantanément l’église se vide ; nos réserves du 93e prennent le pas de course. Les premiers fuyards avaient déjà jeté l’alarme en ville : ils racontaient que le régiment qui nous couvrait sur la gare avait été surpris en plein sommeil, égorgé jusqu’au dernier homme[2], que l’ennemi n’était plus qu’à 200 mètres de la station… On l’y arrêta quelque temps, — pas longtemps, car les batteries allemandes concentraient leurs feux sur la cote 141, et nos élémens fondaient dans ce brasier : le 93e perdait dans la tranchée de la gare son chef, le colonel Hétet ; deux compagnies du 347e, en soutien sur la route de Bannes, flottaient désemparées, presque tous leurs officiers et leurs gradés tués, les deux tiers de leur effectif hors de combat, et rétrogradaient péniblement, en abandonnant leurs blessés, « sur la voie ferrée, à

  1. Erreur, le curé de Fère n’était parti que le samedi S septembre.
  2. Exagération évidente. Cependant on lit dans la Guerre en Champagne : « Dans ces batailles des marais de Saint-Gond, il y eut des pertes égales de part et d’autre, y compris la tuerie de Fère-Champenoise où un régiment français, surpris dans le sommeil, fut égorgé par l’ennemi, les fusils étant restés en faisceaux derrière les tranchées. » (Dr Voillereau.)