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plantées autour des marais et brûlant pour une sinistre veillée des armes ! Nous touchions à la phase critique de la bataille.


IV. — LA JOURNÉE DU 8


« La situation est excellente : j’ordonne à nouveau de reprendre vigoureusement l’offensive. »

C’est par cet ordre laconique du général Foch que s’ouvre la journée du 8 septembre. Mais il n’a pas encore été communiqué aux troupes qu’on apprend que notre aile droite est enfoncée : Lenharrée a été emportée dans la nuit, après un furieux combat et une défense particulièrement énergique de la tête de pont de la Somme, dont les eaux claires, au matin, avaient la couleur pourpre des couchans. C’étaient des élémens du 19e de Brest, du 116e de Vannes et de sa réserve du 316e qui tenaient ces têtes de pont. Ils y combattirent jusqu’à la mort. Mais nos troupes avaient été tournées du côté de la gare ; derrière elles, sur les pentes où il s’étage, le village brûlait. L’ennemi même, à peine le pont forcé, le village emporté, en était rejeté « avec de grosses pertes. » Il revenait à l’assaut et cette fois, malgré l’héroïque défense du capitaine de Saint-Bon[1] et des élémens du 225e de Cherbourg qu’il commandait, nous devions battre en retraite sur Gonnantray, mais en disputant le terrain pas à pas, en profitant des moindres accidens

  1. Neveu du célèbre amiral de Saint-Bon, longtemps ministre de la Marine italienne, le capitaine Henri de Saint-Bon, qui occupait lui-même, avant la guerre, les fonctions d’aide de camp du vice-amiral préfet de Cherbourg, avait demandé à reprendre du service actif dès le début des hostilités. Resté seul officier à Lenharrée avec un sergent et deux compagnies décimées, il fut mortellement blessé à quatre heures du matin et défendit à ses hommes de lui porter secours : « N’approchez pas, leur disait-il, ne vous faites pas tuer pour me sauver. » Quand les Allemands entrèrent dans le village, ils le trouvèrent sur un peu de paille, dans une grange, où il recevait les soins d’un de ses gradés, le sergent Salfre, blessé comme lui et qui a survécu. Une intervention chirurgicale aurait pu le sauver ; l’ennemi ne la lui accorda pas. Mais plus tard, si nous en croyons l’abbé Néret, apprenant que c’était avec deux compagnies seulement que Lenharrée avait tenu tête si longtemps à des forces supérieures, le chef des Saxons fit défiler ses hommes devant le capitaine de Saint-Bon et les autres blessés, en disant : « Saluez, ce sont des braves. » — Quelque confusion subsiste cependant au sujet de la prise de Lenharrée, que l’abbé Néret place à la date du 9. Mais, à cette date, nos troupes étaient déjà repliées sur Gourgançon. D’autre part, le 225e appartenait à la 60e division de réserve (général Joppé), comme les 202e, 247e, 271e et 336e. Cette division fut enveloppée dans le repli, mais sans perdre une seule batterie de ses trois groupes d’artillerie (7e, 10e et 50e).