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peut être que lente et progressive, pour être durable. Pendant quatre cents ans, après une longue période de tâtonnemens et de résistances le monde méditerranéen a accepté la Paix romaine, qui n’était qu’une lutte perpétuelle contre la Barbarie. Pourquoi, aujourd’hui, le monde occidental, pour continuer cette lutte, se refuserait-il à accepter la Paix latine ?

On insiste, en outre, au point de vue national, sur les dangers qui pourraient en résulter. Une immigration abondante et continue n’amènerait-elle pas des troubles profonds dans la vie intérieure de chaque pays allié ? Sa physionomie originale n’en serait-elle pas altérée ?... Déjà nos syndicalistes ont envisagé une partie du problème, sans en être autrement effrayés. Ils conçoivent très bien la possibilité de régler cette immigration, selon les besoins du travail, et de la réglementer après accord réciproque. Cela ne regarde sans doute que les travailleurs manuels. Mais, d’une façon générale, il siérait peut-être d’établir pour les Italiens et pour les Français vivant les uns chez les autres un traitement particulier et d’ailleurs privilégié. En cela encore, la vieille Rome peut nous servir de modèle. Elle n’accordait pas les mêmes droits à tous ses sujets. Ne pourrait-on adopter de concert une sorte de jus latinum, d’abord au bénéfice des Français et des Italiens immigrés, puis extensible à tous les Latins et à tous les étrangers qui entreraient dans l’Alliance ? Ce statut comprendrait la reconnaissance d’une partie des droits civiques. Un tel système, entre autres avantages, aurait déjà celui de simplifier certaines questions d’ordre extérieur, par exemple celle des colonies et des zones d’influence Sans cessions territoriales de notre part, sans froissemens d’amour-propre pour nos voisins, chacun des deux alliés se trouverait comme chez lui dans les colonies de l’autre. Il n’aurait pas à abdiquer sa nationalité pour jouir de tous les droits nécessaires à sa liberté personnelle comme à ses intérêts. L’octroi définitif du droit de cité complet ne s’acquerrait qu’après une ou deux générations et sur des preuves de civisme incontestables. Et ainsi, une grande colonie comme l’Algérie serait soustraite aux dangers de la naturalisation automatique. On n’y reverrait plus, comme au temps des troubles antijuifs, des hordes de naturalisés, à peine débarqués de leur Calabre, ou de leur Andalousie, fausser l’expression du suffrage national, et même remettre en question notre souveraineté.