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M. Roland, Paris se trouve à 5 kilomètres derrière les marais et les Français défendent les approches de la capitale. » Avant d’emporter Paris, il fallait commencer par emporter Mondement, le plateau de Sézanne, la ligne de l’Aube, et les choses n’allaient pas aussi vite que l’espérait la naïveté allemande. La 42e division et la division marocaine tenaient toujours ferme entre Villeneuve et Saint-Prix. De Mondement même, trois de nos batteries, installées à proximité du château, couvraient de leurs feux Talus et la route des marais. Les Allemands, jusqu’à neuf heures du matin, n’avaient pas répondu. Ils faisaient approcher leurs batteries lourdes. À neuf heures exactement, le premier obus de 105 tomba sur le château, fit sauter un pan de mur près d’une des tours d’angle. D’autres obus tombèrent aux deux ailes, puis sur la toiture qui vola en éclats. Le feu se ralentit un peu vers midi. Le général Humbert arrivait justement, tout frémissant encore de la bataille et l’appétit fouetté par une longue randonnée à travers nos lignes. « Il vient déjeuner, note le curé de Reuves. Il est vif, alerte, joyeux. » Et c’est une stupeur pour le bon ecclésiastique, qui préférerait un quignon de pain bis grignoté en paix à tous les festins du monde servis sous les obus, de l’entendre réclamer « nappes et serviettes » et vouloir faire les honneurs de sa table, dans la grande salle à manger, à toute la famille Jacob. Quelle « exigence » et en quel moment ! Mais cette gaieté sous le bombardement n’est pas en somme un mauvais signe ; le moral du chef fait bien préjuger du moral des hommes. « Il les tient dans sa main, dit l’abbé Robin ; au moindre signe, il est obéi ; » il a suffi qu’il leur dit : « Il faut qu’on résiste, il y va du salut de la France. »

Et tous ont compris. Cette crânerie du chef, ce dédain absolu du danger qui, sous une pluie de marmites, le fait se tenir, avec son officier d’état-major, « tantôt au pied d’une des tours, tantôt à côté de l’église, inspectant de ses jumelles la grande plaine qui s’étend à ses pieds[1], » sont le meilleur des toniques pour ses hommes. Mais ils vont attirer la foudre sur Mondement. L’ennemi a dû savoir que nous avions là notre poste de commandement : à peine le déjeuner expédié, le château, l’église, les champs, les routes, sont littéralement inondés

  1. Asker, op. cit.