Pierrot vient d’arriver du front, en mission ; il m’apprend que ton mari est blessé…
— Blessé ?… Gravement ?… Oîi ça ?…
— Près de Roye… Oh ! pas très gravement, sans doute. Ne te tourmente pas !…
— Blessé où ? blessé où ? Je ne te demande pas si c’est près de Roye. Est-ce à la cuisse ? à la tête ? au poumon ?… En quel état est-il ?…
— Je ne sais pas… Je n’ai pas eu tant de détails… Mais j’ai voulu t’avertir tout de suite et ne te rien cacher…
— Comment ! ne me rien cacher ?… Pourquoi me cacher que mon mari est blessé ?… Il est impossible que Pierrot t’ait dit que Jean était blessé sans te parler de sa blessure ?… Est-ce qu’il l’a vu ?..,
— Oui… C’est-à-dire… Tu sais, dans ces affaires-là, quand ça chauffe… on voit un camarade par terre ; quelqu’un vous dit : « Le lieutenant Jacquelin a une balle dans la cuisse ; » on est obligé d’aller en avant…
— Comment ! il l’a vu par terre sans plus se tourmenter ?
— Mais, je te dis, ma pauvre enfant : on est obligé d’aller en avant, on a ses hommes à commander, on est dans le feu de la bataille…
— Enfin, quoi alors ? une balle dans la cuisse, c’est ce qu’on lui a dit ? Il n’en sait pas plus long ?… A-t-il été ramassé, le malheureux ?… ou piétiné, écrasé par les chevaux ?,.,
— Il n’y a pas de chevaux, Odette.
— Ah ! est-ce que je sais, moi ? Tu vois bien que tu es renseignée sur tout… mieux que moi… Tu me caches quelque chose, je le sens.
— Je te cache quoi, Odette ?
— Mon mari a la jambe coupée, je le parie ; tu ne veux pas me le dire !…
— Ah ! oh ! mon Dieu !…
— Tu vois !… Et tu pleures, à présent. Il a la cuisse emportée par un boulet !… Il marchera sur un pilon, comme un invalide !… Ah ! mon pauvre Jean, si beau ! et qui avait une si fière tournure !… Mais pourquoi pleures-tu tant que cela ? Je ne pleure pas, moi ; regarde ! J’apprends une chose atroce, un malheur effroyable… Tu sais que j’adore mon mari ; eh bien ! tu es témoin que je tiens..,
