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Car en face de ce peuple aveuli marchait l’ « incomparable » armée allemande forte de ses vertus autant que de ses armes. Et tout fortifie dans son erreur l’étranger — et avant tout l’Allemand. Celui-ci s’engage avec une confiance déjà triomphante, la figure allumée par la convoitise près de se satisfaire, par la haine déjà satisfaite, puisque de toute part le Français battu recule. Alors le généralissime lève le bras : le signal est donné de la bataille : « Se faire tuer plutôt que de reculer ! » Un frisson sacré court de la banlieue de Paris aux cols des Vosges. Le 6, on attaque. Le 13, l’armée allemande, repoussée après deux combats, a abandonné les deux tiers du territoire, et sa défaite définitive n’est plus qu’affaire de temps.

Tolbiac, Poitiers, Bouvines, Orléans, Denain, Valmy, champs de la Marne, partout le même miracle s’est produit. Mais un miracle qui tous les deux siècles sauve le pays, qu’est-il, sinon la vertu de la race ? La vertu de la race, elle fut, à l’heure où tout allait périr, la force principale de nos armées : elle apparut dans les chefs au clair regard, et dans les soldats remis debout par l’ordre de combat : elle domina les combinaisons et fortifia les bras. Ainsi avait-elle agi à tous les âges. Elle fut la cause capitale de la grande déconfiture allemande aux plaines de la Marne, comme de toutes les défaites subies à tous les âges par les ennemis du pays. Mais parce que cette vertu française, comme à ces heures critiques, apparut soudain magnifiée par l’extrême péril et, après l’épreuve, auréolée de gloire, la bataille de la Marne restera, quels que soient nos succès présens et futurs, une des heures les plus solennelles de l’histoire de France — peut-être la plus solennelle, puisque, avec la nation, elle a sans doute du plus dur joug sauvé l’Humanité.


LOUIS MADELIN.