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croyaient enveloppés dans une fuite éperdue ; car ils nous tenaient pour incapables de nous replier stratégiquement, parce que le repli méthodique est le fait de gens disciplinés et « scientifiques, » c’est-à-dire des seuls Allemands. Le Français, en reculant, avouait sa défaite ; celle-ci était assurée, presque consommée.

Jamais, s’ils n’eussent été pénétrés de cette idée, les Allemands ne se fussent si témérairement avancés. Il arrivera un jour où, reconnaissant la réalité de leur défaite, un von der Goltz racontera la Marne comme un von der Goltz a dû raconter Iéna. Il devra convenir que la principale erreur de ses compatriotes fut d’avoir cru la partie gagnée quand elle était à peine engagée.


Quoi qu’il en soit, ils avançaient rapidement et sur un front énorme. C’était une ruée : l’invasion des Barbares au IVe siècle, celle des Alliés en 1814, n’avaient rien été auprès de cette formidable inondation d’hommes et de canons. La masse lancée contre nous était à peu près de 1 500 000 hommes, dont beaucoup plus d’un million dévalaient sur Paris par toutes les voies, avec ses 4 000 canons de campagne, ses 450 batteries de canons lourds, ses 700 mortiers monstrueux.

Par la trouée de l’Oise, les deux armées Klück et Bülow (Ire et IIe) précipitaient à elles seules 520 000 guerriers germains sur l’Ile-de-France : la première descendant sur la rive droite de l’Aisne semblait marcher sur Paris ; la seconde, un instant accrochée à Guise, reprenait vers Laon en direction d’Epernay sa marche torrentielle. Les témoins disent que les Allemands passaient « comme un rouleau. » Hausen qui, avec la IIIe armée (120 000 hommes), avait pénétré en France par la rive droite de la Meuse, marchait de Rethel sur Châlons ; le duc de Wurtemberg (IVe armée), dont le général de Langle de Cary contenait difficilement les 200 000 soldats, avançait de Sedan dans la direction de Vitry, tandis que la Ve armée, sous les ordres du Kronprinz impérial lui-même, forte elle aussi de 200 000 hommes, après avoir contourné Verdun par le Nord, passé la Meuse et en partie franchi l’Argonne, descendait vers les vallées de l’Ornain et de la Basse-Saulx.

Presque tous forçaient les marches, imbus de l’idée qu’avant toutes choses il fallait « faire vite, » « écraser la France » en quelques jours, avant que la Russie fût réellement à craindre et