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l’envahisseur avant qu’il eût franchi cette frontière. Mais aux énormes colonnes allemandes qui, après avoir refoulé les forces belges sur Anvers, roulaient vers la France, on n’avait pu ainsi opposer qu’une partie de notre armée que grossissait le corps expéditionnaire anglais. La bataille engagée dans ces conditions en Belgique était donc inégale : elle devenait tout à fait malheureuse lorsque, le 25 août, le généralissime Joffre la rompit résolument. La manœuvre initiale entreprise n’offrait plus assez de chances de succès. Il devenait nécessaire de monter une nouvelle manœuvre, même au prix de l’abandon d’une partie du territoire national.

Il fallait que les armées qui venaient d’être engagées en Belgique se repliassent avant toute irréparable défaite, se reformassent en retraitant et, tout en ne se laissant accrocher ni entamer, tout en contenant au contraire et au besoin endommageant l’ennemi qui les poursuivrait, allassent se ranger en bataille sur le terrain et au moment jugés propices par notre Etat-major. Pendant ce temps, des corps empruntés aux armées de l’Est viendraient rapidement constituer ces « forces nouvelles » dont parlait le généralissime. En « arrêtant par des contre-attaques, courtes ou violentes, dont l’artillerie serait l’élément principal, la marche de l’ennemi ou tout au moins en la retardant » (ordre général du 25), les forces qui se repliaient donneraient à celles qui se constituaient le temps de s’intercaler, suivant un plan arrêté, entre les armées en retraite. La ligne ainsi reformée et suffisamment soudée, on se retournerait délibérément pour livrer la nouvelle bataille.

Jamais opération ne fut plus clairement conçue et ordonnée, plus mathématiquement exécutée. Et à l’heure même où les armées qui avaient combattu en Belgique se repliaient vers le bassin parisien, les « forces nouvelles » se constituaient et se plaçaient derrière elles : la 6e armée dans la région d’Amiens sous les ordres du général Maunoury, et, sous les ordres du général Foch, la 9e armée, destinées, l’une à prolonger sur notre gauche l’armée anglaise, l’autre à s’intercaler au centre entre les 5e et 4e armées.

Il eût été singulier que l’ennemi n’essayât pas de troubler l’opération. Ses armées suivaient les nôtres, contenues, parfois refoulées par d’heureuses résistances. Mais la plus considérable de toutes, la Ire armée sous le commandement du général von