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tiendra ou ramènera à l’ordre du jour, en tant qu’il y aura lieu d’en tenir compte dans les conditions mêmes de la paix. Ce qui s’empare brusquement de l’attention, l’emporte, la tient en suspens, ce qui commande l’intérêt immédiat et poignant, comme une occasion qui ne reviendra plus, c’est l’attitude de la Roumanie.

On sait que, dès le mois de septembre 1914, malgré le pacte secret qui, depuis trente ans, la liait à l’Autriche, et à la suite du Conseil de la Couronne qui dégagea la signature du roi Carol, la Roumanie avait proclamé sa neutralité armée, bienveillante à l’égard de la Quadruple-Entente. Et, dès le mois de janvier 1915, des manifestations non équivoques montraient que, si bienveillante que fût cette neutralité, un fort parti au moins, la grande majorité de la nation ne s’en contentait pas. En mai, au lendemain de l’entrée en guerre de l’Italie, que peut-être on n’attendait pas seule, les conversations redoublaient, la Roumanie affirmait ses revendications. Aux dépens de l’Autriche-Hongrie, elle réclamait la Transylvanie accaparée jadis par les Hongrois, la Bukovine prise par les Autrichiens en 1774, et la partie, peuplée de Roumains, du banat de Temesvar ; de la Russie, la Roumanie espérait la Bessarabie. Cependant, les semaines d’août 1915, ces semaines fatidiques d’août où, sa moisson achevée, la Roumanie est libre de marcher, passèrent sans qu’elle bougeât. Alors les Russes avaient été refoulés ; l’armée roumaine n’avait plus d’aile gauche ; les nmnitions n’arrivaient pas. L’hiver venu, les Empires du Centre, après avoir prodigué les caresses publiques et les cadeaux privés, multiplièrent les avertissemens, qui, dans le printemps de 1916 et dans l’été, se changèrent en menaces. Au lieu de ce que la Roumanie revendiquait comme sien, l’Allemagne offrait la Bukovine qui est à l’Autriche, et la Bessarabie qui est à la Russie : cette ville est à vous, vous n’avez qu’à la prendre ! Bukovine et Bessarabie, c’était la thèse, avaient fait autrefois partie des Principautés danubiennes. Quant à tout le reste, à la Transylvanie et au Banat, jamais ils n’avaient constitué politiquement des États de formation roumaine par lesquels la Roumanie contemporaine pût avoir une prétention légitime de se les rattacher. Puisque les Roumains invoquaient l’autorité de leur historien Yorga, on allait leur servir de l’histoire. Mais, au denieurant, qu’est-ce qu’un droit historique qui ne peut s’appuyer que sur le passé, le plus faible des fondemens et le plus vain, chose morte ?

Que l’histoire, du moins pour les autres, ne crée pas de droits, que tout au plus elle serve à expliquer les œuvres de la force, ce n’est pas seulement la thèse allemande, c’est aussi la thèse autrichienne et