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LES MARAIS DE SAINT-GOND.

patrouille allemande se lançait sur Vert-la-Gravelle et franchis-sait un bras d’eau dans la direction de Morains-le-Petit. Les deux branches de la tenaille commençaient à se resserrer.

Allaient-elles se refermer dès cet instant même sur les marais ? En particulier, une offensive vigoureuse sur Mondement, dessinée avant midi, n’eût rencontré de notre part qu’une faible résistance. Et Mondement passe pour la clef stratégique des marais. C’est que l’ordre général de Joffre, magnifique improvisation de la nuit, n’était pas encore parvenu à l’état-major de la 9e armée, qui, se conformant aux ordres antérieurs, continuait son repli vers Œuvy, Gourgançon et Corroy, où Foch plaçait son poste de commandement[1]. Franchet d’Espérey, déclinant lui aussi la bataille, se repliait, en conformité des mêmes ordres, derrière la ligne du Grand-Morin. La droite de von Bülow, qui descendait de Montmirail, avait ainsi emporté sans résistance, dans la matinée, Soigny, le Gault, Charleville ; elle devait entrer le soir même à Esternay, où ses patrouilleurs, vers Champguyon, enlevaient treize des nôtres qui, quelques minutes auparavant, s’amusaient à abattre « des poires au bord du chemin[2]. » De toute évidence, le front allemand, qui, dès midi, s’incurvait fortement de la forêt du Gault à Villeseneux, chercherait à se rectifier sur une ligne passant par Fère et Sézanne et enveloppant les marais.

Il pouvait être tentant, pour un chef comme Foch, d’essayer de profiter des hésitations allemandes et de s’opposer à cette rectification, s’il n’avait été d’une importance encore plus grande de conserver son strict alignement avec le front général de l’armée. Jusqu’au milieu de la journée, il peut croire que ce front glisse vers l’Aube, et il suit le mouvement sans s’occuper des marais, quand tout à coup, vers onze heures, lui parvient l’ordre général, dicté, la veille au soir, par Joffre, et qui dispose en ce qui le concerne : « La 9e armée couvrira la droite de la

  1. « Ce matin, de très bonne heure, nous avions quitté Vertus ; nous devions aller jusqu’au Sud de Fère-Champenoise, à Corroy ; mais, vers midi, arrive du grand quartier général l’ordre si impatiemment attendu, » etc. (Asker : Mondement, Illustration du 3 juillet 1915.) — « Temps frais et couvert jusqu’à onze heures, puis soleil et chaud. À Fère-Champenoise, contre-ordre : au lieu de prendre l’offensive demain, on va faire plastron au Mont-Toulon. » (Journal de X…)
  2. La Guerre en Champagne. Récit de l’abbé Thouvenot, curé d’Esternay.