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Ils s’étaient penchés sur lui.

Vaissette put demander doucement :

— Nous avons pris la tranchée ?

— Toute leur ligne est crevée, répondit l’homme. On les poursuit.

V^aissette sourit. Il demanda encore :

— Et le lieutenant Fabre ?

L’ambulancier avoua, virilement :

— Il est tué.

— Ah ! fit Vaissette, en gardant son sourire.

Il acceptait tous les deuils. Il put interroger encore :

— Le capitaine...

Il dut s’arrêter. Le sang affluait brusquement de la poitrine enfoncée à la gorge. Il acheva :

—... de Quéré ?

Le brancardier répéta :

— Il est tué.

— Ah ! dit encore doucement Vaissette.

Les hommes se baissaient afin de le soulever.

— Laissez-moi, dit-il, très bas...

Il répéta, dans son sourire :

— Tués...

Il ajouta :

— Moi aussi...

Son regard s’éteignait. Il eut un râle, un dernier frisson de tout le corps. Il put rouvrir les yeux. Il fit un grand effort : alors, il murmura, en les fermant à jamais :

— Mais la France continue...


ADRIEN BERTRAND.