Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non suspectes, qu’il ait reçu des passagers, si ces passagers « sont entièrement incapables d’accomplir un service militaire ou naval du belligérant dont le vaisseau porte le pavillon, ou d’un de ses alliés, en particulier si la liste des passagers comprend des femmes et des enfans. » Notez que ces dispositions ne visent que des navires de commerce battant pavillon d’une puissance belligérante : ainsi que certains codes s’étaient refusés à prévoir le parricide comme trop horrible, on n’avait pas pensé qu’on dût stipuler pour les neutres.

Une phrase, pourtant, de la proclamation de neutralité du 4 août a pu offrir un prétexte aux machinations du gouvernement impérial allemand et de ses correspondans d’Amérique, celle où le Président disait : « Je notifie que tous les citoyens des États-Unis et toutes autres personnes pouvant réclamer la protection de ce gouvernement, qui se conduiraient mal, le feront à leur propre péril, et qu’ils ne pourront, en aucun cas, obtenir la protection du gouvernement des États-Unis contre les conséquences de leur mauvaise conduite. » On sait le sens très particulier qu’ont, dans la langue juridique et politique de la Confédération, les expressions : « se bien conduire, se mal conduire. » Il n’y avait plus qu’à faire convenir M. Wilson que ce serait s’être mal conduit, comme citoyen américain, que d’avoir pris passage sur un navire marchand armé, que c’était donc avoir perdu la protection des États-Unis et s’être volontairement, à son propre péril, exposé aux torpilles allemandes, transformées en régulateurs innocens de la bonne et de la mauvaise conduite. On sait aussi que M. Woodrow Wilson, si endurant qu’il soit et animé d’un si fort parti pris pour la neutralité et pour la paix, n’a pas eu la souplesse d’échine qu’il eût fallu pour s’incliner. Quand les manœuvres des Allemands d’Amérique ont réussi à en faire appeler du Président au Congrès, dans l’affaire des navires armés, M. Wilson, par une riposte habile, à son tour en a appelé au Congrès des prétentions progermaniques, et il a rangé derrière lui, à d’écrasantes majorités, et le Sénat et la Chambre des représentans. Il y a à peine deux mois de cela. Depuis ces séances mémorables, et qui n’ont pas été de vaines cérémonies, le différend, non encore tranché, de la Lusitania, s’est envenimé de l’affaire du Sussex, ces jours ci encore des cas de l’Inverlyon et du Mangam-Abbey. Mais tout ici-bas a une fin. La « dernière » note de M. Woodrow Wilson, qui était sa neuvième, est partie : c’est plus qu’une note, un mémorandum ; et c’est plus qu’un mémorandum, un pré-ultimatum ou un quasi-ultimatum. Le seul trait qui la distingue de l’ultimatum formel et catégorique est