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dans la fourberie (on risquerait presque un autre mot), cette puissance de mensonge, qui commence par se mentir à soi-même, nous accable de stupéfaction. Il est prodigieux que, depuis le 1er août 1914, après Louvain, après Arras et Reims, un Allemand puisse encore, sans rire, vanter à des Allemands, qui n’en rient pas, la candeur allemande, la douceur allemande, l’honnêteté, la bonté, la culture allemandes ! Mais, là-dessus, le blocus moral a resserré impitoyablement son cercle, et des fausses vertus allemandes, sous aucun emballage ni truquage, à l’exportation, rien ne passe plus. « Ce n’est pas nous qui avons voulu la guerre, » gémissent d’une voix qui ne trompe ni n’attendrit personne, l’Empereur et le chancelier de l’Empire. Mais nous verrons toujours M. de Bethmann-Hollweg dans l’attitude où nous le livre le récit tragique de sir E. Goschen : « Eh ! quoi, pour un chiffon ! » et, s’il lui plaît de prendre des airs de victime, nous le clouerons au calendrier : 1er août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie ; 2 août, l’Allemagne envahit le grand-duché de Luxembourg et somme la Belgique de lui livrer passage ; 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France, etc. Pour essayer de laver la tache ineffaçable dont l’Allemagne s’est couverte, ni l’Empereur allemand, ni le Chancelier allemand, pas même « le vieux Dieu allemand, « ne sauraient renverser la succession des jours.

Les jérémiades de M. de Bethmann-Hollweg n’auront pas meilleure fortune que ses rodomontades, ni les unes, ni les autres ne vont où il les adresse. « Notre armée, gronde-t-il, frappera des coups toujours plus forts. » Oui, si elle le peut ; mais on voudrait savoir ce qu’elle a jusqu’ici épargné. La Belgique, la Pologne, les provinces baltiques sont « les portes » par où entrera « la paix allemande. » Oui, mais les huit Puissances de l’Entente les tiennent solidement et n’y laisseront passer que la paix européenne, celle qui ira de chez elles en Allemagne, et non pas celle qui viendrait de l’Allemagne chez elles. A l’univers récalcitrant, qui ne veut pas être germanisé, encore moins prussifié, le Chancelier montre « le poing allemand » et énumère « les victoires allemandes. » Seulement, l’univers a appris que le poing a une foulure, et que la page a un revers.

A l’opposé, la Sextuple Entente est en hausse. Dans le camp des adversaires de l’Allemagne, ce qui n’était pas préparé est prêt, ce qui n’était pas organisé s’organise. S’imaginer une Angleterre lasse et débile au bout de vingt mois n’est pas la moins grossière erreur psychologique que M. de Bethmann-Hollweg ait pu commettre. Lente à se lever, la Grande-Bretagne est encore beaucoup plus lente à se rasseoir.