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prudence » le leur permettront, il a été convenu que, tout de suite après le budget du ministère de l’Agriculture, on examinerait celui du ministère des Affaires étrangères, ce qui fournirait à M. Sonnino une occasion naturelle de s’expliquer. Pourtant nous aurions tort de nous promettre (et de M. Sonnino il faut s’en promettre moins que de personne) d’extraordinaires révélations. Nous pouvons dès maintenant nous représenter l’émotion que M. Salandra et lui-même ont éprouvée à pénétrer dans la même salle et à s’asseoir peut-être à la même place où siégèrent, voilà plus d’un demi-siècle, le comte de Cavour et le marquis de Villamarina. A cette heure grave, ils se sont rappelé avec une juste fierté que, malgré la hardiesse de son génie et la trempe de son caractère, Cavour n’avait pas franchi cette porte sans trembler un peu, sans craindre de se heurter à des objections ou des restrictions qui lui eussent interdit de rester. Mais eux, ce n’était plus son dessein, c’était son œuvre. qu’ils y ramenaient ; non plus le Piémont, mais l’Italie ; un peuple majeur, une nation unie, un État armé, une Puissance égale à toute autre, indépendante de toutes, ni inférieure ni inféodée à aucune. Comme Cavour encore, sur le point de participer librement à l’expédition de Crimée, s’était cru obligé de le faire, aujourd’hui M. Sonnino a le droit d’apporter à la Chambre cette affirmation si chère au légitime orgueil italien : « Je me borne à déclarer que, soit dans la première invitation qui nous fut adressée, soit dans tout le cours des négociations, il n’a jamais été prononcé une phrase, un mot, une syllabe,... qui pût être interprété comme un essai de pression ; rien que les protestations les plus amicales, les plus affectueuses. » Et que de souvenirs, que de réflexions éveillées par ces souvenirs mêmes ! La loyale, fidèle et malheureuse Belgique, dont les plénipotentiaires sont là, n’y est-elle pas dans la situation diplomatique où précisément se trouvait le Piémont en 1856 ? A l’une, récemment, ainsi que jadis à l’autre, il a été juré qu’on ne traiterait point de la paix en dehors d’elle, et que, s’étant offerte au sacrifice, elle contribuerait à dicter la réparation. La seule pensée de cette réparation nécessaire nouait entre les Alliés une sorte de lien sacré, les élevait au-dessus de leurs intérêts particuliers, dans le sentiment plus haut, plus général, et comme plus humain, du droit. En ce lieu se répétait le fait tenu pour capital par le comte de Cavour, à savoir que « depuis bien et bien des années, depuis le traité d’Utrecht peut-être, » c’était la première fois que des Puissances de second ordre étaient « appelées à concourir à la solution des questions européennes. » Ainsi, remarquait l’illustre homme d’État, tombe la