Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/936

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acheter un chapeau de paille, orné de cuirs colorés. Tu sais combien il est glorieux de ses coiffures ?

— Je ne sais pas, répondit hypocritement Fatima, car je ne l’ai jamais rencontré.

Elle mentait en prononçant ces paroles, car, tout au contraire, elle avait aperçu souvent de loin Bourrich, lorsqu’il était jeune homme, et elle avait même souhaité un époux de sa sorte. Turkia, qui ne l’ignorait pas, était un peu jalouse de la grâce de Fatima, et elle affectait d’en entretenir sa compagne, afin de l’amener quelque jour à se trahir. Qui sait ? Peut-être en naîtrait-il quelque bonne bataille entre Bourrich et Arezki, mari de Fatima ? Ce serait une distraction. Les jours ne seraient-ils pas tous blancs, en Kabylie, si le sang ne les colorait point quelquefois de sa belle pourpre ?

Ce fut dans de telles dispositions amicales et avec cette arrière-pensée que Turkia sourit à son amie, en l’invitant avec un joli geste circulaire, tel qu’on ne le voit qu’en Berbérie, à s’approcher. Ce gracieux mouvement des bras appelait et enlaçait, caressait et choyait.

Fatima saute à pieds joints sur un seuil que l’usure avait poli en son centre, puis elle rebondit sur une aire formée du même stuc luisant qui recouvrait les murs. Ce stuc était composé d’enduits calcaires huilés. Le plafond, construit à la mode des Ouadhia, en roseaux, avait l’avantage, assurait Turkia, d’empêcher les punaises de s’y installer.

Aussitôt entrée dans la salle, Fatima, au lieu de l’admirer, fixa les oreilles de Turkia et remarqua qu’elles étaient percées chacune de trous superposés, où deux boucles à pendeloques de corail serti dans des chatons à émaux jaune et vert, étaient accrochées.

D’un air négligent, Turkia excita l’envie de sa compagne en lui disant qu’en son village, toutes les femmes étaient ainsi parées. Sans doute, l’avarice des Chenacha, des Kouriet et des autres gens de la montagne les empêchait d’orner leurs femmes.

— Oh ! si nous voulions, protesta la petite danseuse. Aussitôt le retour de cet « homme-là, » je me ferai percer les oreilles comme toi.

Un gémissement cadencé, qui venait du fond de la pièce, parut gêner Turkia, et elle leva les coudes avec ennui. Une vieille femme aux chairs crayeuses, mal voilée d’une tunique