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— Tu as deviné, prononça Roua, toujours assise, jambes écartées autour du moulin, cette lampe figurait au mariage de Malki, et l’on rapporte que celui qui la portait en avant du cortège fut obligé de rallumer trois fois la mèche du milieu qui fumeronnait. Mauvais présage ! Un tel feu ne doit pas s’éteindre.

— Et toi, Roua, repartit Malki d’une voix amère, raconte donc qu’un jeune homme voulut éteindre la lampe de Daroul, le jour de tes noces. Pourquoi cela ?

A cette allusion, le sang envahit la grosse figure de Roua. Afin de faire diversion, elle entraîna sa visiteuse devant un coffre de bois sculpté, semblable aux coffres à dîmes pour les grains tels qu’il en existe encore dans certaines sacristies de Bretagne. La façade en était gravée de lignes brisées, d’étoiles, de triangles, de feuilles de fougères et de cordonnets entrelacés. Une vieille serrure forgée défendait cette forteresse.

— J’apportai en cette maison ce coffre où j’enfermai mes bijoux et ma dot, déclara Roua.

— C’est du bois ! Il est en bois, du bois, rien qu’en bois !! répétait-elle en caressant le meuble.

C’était en effet, dans cette maison kabyle où la seule matière en usage fût la terre pétrie, une singulière exception.

— Cela vient d’Akbou, pays forestier, précisa Malki d’un air méprisant. Cela pourrit aisément.

Pour détourner l’attention de la visiteuse, elle continua :

— Possèdes-tu chez toi une baratte, Fatima ?

Elle montra une courge creuse couverte à sa partie supérieure par un liège percé en son centre d’un trou dans lequel on introduisait un roseau pour l’extraction du petit-lait. Pour obtenir du beurre de ce curieux outil, Malki le secouait au moyen d’un lien noué dans le clissage qui recouvrait la partie inférieure.

— Du beurre, murmura Fatima, du beurre, cet « homme-là)) ne m’en donna jamais, — et elle pensait avec amertume combien Arezki était ladre.

Un vagissement lui fit tourner la tête. Aux branches de frêne qui clôturaient la terrasse, d’un berceau de paille surgit la tête d’un petit sauvage bistré au front plissé de méchante humeur. Aussitôt, Roua s’élança vers son fils Ouaci et le balança comme une cloche, puisqu’il est de mode, en tous pays, d’écœurer les enfans pour en obtenir la paix. En effet, aussitôt secoué, Ouaci abattit son gros visage redevenu lisse comme la