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crue, rehaussées de sculptures barbares, évoquaient des sarcophages. Sur ces vases assez vastes pour contenir plusieurs hommes, on pouvait relever jusqu’à des signes sémites contre le mauvais œil. Ces « akoufis » aux larges panses étaient disposés côte à côte sur un terre-plein. Ils renfermaient les provisions de figues sèches, de sorgho, d’orge et d’huile de la famille Daroul.

La grosse Roua, les mains à ses hanches, se rengorgea devant ces jarres d’abondance de l’industrie de Malki, mais Fatima n’y prêta aucune attention, et, comme si elle connaissait la maison, elle poussa un huis formé d’un plateau de frêne et elle bondit dans une courette qu’un grossier treillage de troncs d’olivier défendait contre les voleurs. A travers cette charpente, des fillettes grêles comme des statuettes florentines, courant de terrasse en terrasse, les bras ouverts ainsi que des ailes, s’apercevaient.

— Seffa, la sœur de Daroul, ne travaille-t-elle pas là ? demanda la visiteuse.

— Oui, elle fabrique un burnous, répondit Roua en poussant son invitée dans une petite chambre nue.

A travers la chaine d’un métier qui semblait une toile, d’araignée, le visage d’un ovale très allongé de Seffa s’apercevait.

Cette jeune fille, adossée à la muraille d’un rouge de sanguine, accroupie devant son ouvrage, était vêtue d’une tunique à la grecque retenue aux épaules par des fibules d’argent. Son cou long et sa gorge avaient la nuance de l’ivoire ancien. Avec des gestes de harpiste, ses mains fuselées touchaient les fils de la chaîne ; ou bien elle poussait la laine à travers la trame comme une musicienne s’exerçant à des arpèges. A l’entrée de Fatima, sans quitter son ouvrage, appelant le salut et la prospérité sur l’invitée, elle continua sa gracieuse besogne qui contrastait avec la barbarie de son installation, salle de terre battue sans un meuble. Et l’on pouvait lui comparer la vulgarité confortable des intérieurs de nos ouvrières travaillant de leurs gros doigts avec des machines à tisser admirables d’invention. Orient ! ton prestige ne mourra pas autant que Seffa fabriquera des burnous et des tapis avec les grâces d’une joueuse de luth. De droite et de gauche, Fatima tâtait le tissu commencé ; elle ne tarda pas à se lasser de cet