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NOTES D’UNE INFIRMIÈRE À MOUDROS

sentait quand même en famille... On était ému, et on était heureux... Ils ont joué longtemps, avec des yeux si pleinement ravis de notre approbation ! Nous leur servîmes à goûter. Et ces grands diables de marins, redevenus des enfans, recevaient avec des mains toutes tremblantes les morceaux de gâteaux que nous leur offrions... Nous ne savions plus, nous, si nous devions les remercier pour l’aubade ou pour la douce émotion qu’ils nous avaient causée. C’était tellement touchant, cette idée de s’en venir ainsi nous dire à leur manière leur pensée à eux ! Nous avons levé nos verres en l’honneur de la France, — et bu aussi à nos santés mutuelles. Puis, juste au moment de partir, un d’entre eux se redressa... Il nous a récité, d’une voix hésitante et diminuée, ce fameux couplet de Mayol qui parle des Dames de France...


Moudros, janvier 1916.

Ah ! oui, nous fûmes émues quand nous avons su qu’on allait évacuer définitivement Seddul-Bahr, dans la nuit du 8 au 9. Depuis plusieurs jours, les troupes arrivaient de là-bas pleines d’entrain et de mordant, toutes prêtes à aller se battre, pourvu que ce ne fût pas dans cette diable de presqu’ile. « On l’avait assez vue et pour la poussière qu’on y mangeait, valait encore mieux aller ailleurs... Mais quand même, si on avait dû y rester, on se serait battu encore... » Chers soldats de France, ils sont tous les mêmes ! Bons, francs, simples, intelligens. Et toujours une pointe de malice, le mot pour rire qui sert quelquefois à dissimuler la poussée d’émotion qui fait battre le cœur plus fort... Ce scepticisme français, comme on le connaît bien maintenant ! Il n’y a pas meilleurs et plus honnêtes garçons que nos soldats... Et sachant tirer parti des moindres choses, s’accommodant de tout, grognant pour la forme et puis, demandez-leur un service... L’orgueil qu’ils ressentent en se sachant utiles ! Et la douceur qu’ils éprouvent lorsqu’on leur montre qu’ils peuvent faire du bien, beaucoup de bien !

A force de vivre au milieu d’eux, à force de vivre de leur vie, comme on les connaît davantage on les apprécie mieux. Aussi, lorsque nous avons su que, chaque soir, on faisait partir quelques-uns des hommes qui étaient là-bas et que finalement une poignée seule en restait, et que cette poignée qui représentait