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Oh ! cette retraite de Serbie, comme nous l’avons vécue ! Nous connaissions beaucoup de ceux qui étaient partis là-bas. Nous savions les mouvemens de troupes et on n’ignorait pas que l’on se battait un contre dix. Mais je dois dire que pas un instant la confiance n’a faibli. On a eu confiance jusqu’au bout. N’importe, il y eut de durs momens à passer. Brusquement, il nous avait semblé, dans notre île, être abandonnés de tous. Les hommes partaient, on transportait à Salonique le matériel en réserve. C’était une besogne folle qui écrasait l’appontement français. Et puis les bateaux dans la rade avaient diminué. La vie s’était faite plus calme, plus uniforme, les courriers devenaient plus rares et nous avons eu l’impression d’être ceux qu’on laisse, oubliés...


LA FIN DU GOLIATH

Par un de ces après-midi, à l’heure où la nuit arrive et que tout bruit diminue comme d’instinct, pour faire place au recueillement et au silence, les heures de veille deviennent plus grandes, plus paisibles. Chacun écoute en lui son angoisse ou son espérance. On vit plus rapproché de la terre. On vit en communion plus directe avec toutes les souffrances humaines. On sait mieux la vanité des choses qui passent.

Aujourd’hui, la douceur du soir fait plus pénétrant le silence qui vole au-dessus du camp et les trois hommes qui sont immobiles, assis sous cette tente qu’éclaire une pauvre lanterne, ces hommes-là ne causent pas. Ils vivent étrangement isolés les uns des autres. Chacun sans doute remue en lui de ces émotions qui appartiennent au passé et qui reviennent si fortement avec la tranquille beauté des soirs d’Orient.

Les minutes s’en vont dans le grand silence du camp qui s’endort... Mais un homme a surgi à l’entrée de notre tente. Puis, sans nous en demander l’autorisation, il prend une caisse à moitié ouverte, la retourne et s’assied.

Il parle à voix basse, comme pour ne pas interrompre notre rêve. Il passait justement pas très loin de nous, lorsque notre lumière l’attira. Il vient voir un peu ce que nous devenons. On n’avait pas de communiqués depuis plusieurs jours : savait-on quelque chose ? Un bateau de commerce coulé par un sous-marin ennemi, un bateau de peu d’importance d’ailleurs, mais