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REVUE DES DEUX MONDES.

Deux angles au sextant, un coup de télémètre, un coup d’œil sur le canon de tir préparé d’avance.

— 8 500 ! 8 300 ! 8 000...

Alors pour le coup ç’a été un tapage, un paquet d’air chaud qui vous fouette le corps, de la fumée... Notre belle petite tourelle d’avant de 30 venait d’ouvrir les feux sur Orhanié.

On entend encore :

— Les angles ? Distance...

— 7400...

Le tir, cette fois, est réglé : toutes nos cinq pièces de 16 centimètres de la bordée crachent comme si elles n’avaient fait que ça toute leur vie... Elles ne s’arrêtent pas, elles continuent toujours. Elles tirent sans arrêt. Quel tapage, mon Dieu ; mais comme nous étions fiers, si vous saviez !

Tout d’un coup, une sonnerie se fait entendre : par le porte-voix, on entend :

— Changement d’objectif...

Plus de coups de canon, plus rien, plus rien du tout. Quelle différence avec l’instant d’auparavant ! Jamais je n’aurais cru possible silence comme celui-là. On en était impressionné ! Après le tapage qui avait précédé...

On a entendu quelqu’un qui disait :

— En voilà un qui a son compte. A qui le tour ?

Mais le blockhaus parle encore :

— Distance de Koum-Kalé ?

— 3 100.

Nous n’en avions pas fini, heureusement. Le tapage avait repris de plus belle. On tire à nouveau, on tape de plus en plus fort. Et dans tout ce bruit, retentissent les commandemens que l’on hurle.

— Pièce ! Feu !

Notre Suffren avançait toujours : il n’avait pas peur, je vous assure. Il arrive tout près des premières lignes de mines, puis il revient sur la gauche. On recommence le tir. On a ouvert le feu à moins de 2 000 mètres sur Seddul-Bahr ! Les murs du château croulaient, que c’était un plaisir. Les pierres dégringolaient en charriant derrière elles de grands morceaux du fort. Ça craquait, ça se cassait. On voyait leurs pièces de canon qui sautaient en l’air : gros canons de marine. C’était